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dire l’intérêt ? Si l’appropriation des formes métriques aux genres déterminés est assurément moins rigoureuse en latin qu’en grec, elle l’est toutefois encore assez ; et puisqu’en français même, — de toutes les langues celle peut-être où les matériaux de la poésie diffèrent le moins de ceux de la prose, — le juste choix des mètres et des rythmes ne laisse pas d’être un des élémens essentiels de l’illusion poétique, on en devine l’importance dans la langue de Virgile et d’Horace. Ajoutez, que justement le « docte » Catulle fut le premier importateur à Rome des mètres lyriques de la poésie grecque, et que de ce seul chef, même quand il ne serait pas Catulle, c’est-à-dire tout ce qu’il est par ailleurs, il tiendrait encore un rang élevé dans l’histoire des lettres romaines. Ainsi, dans l’histoire de la peinture, avons-nous conservé religieusement les noms de tous ceux qui firent faire un grand pas à la technique de leur art, l’inventeur ou les inventeurs de la peinture à l’huile, l’inventeur de la perspective, l’inventeur du clair-obscur. » La forme, en poésie, n’est évidemment rien si le fond n’y est pas, mais site fond y est, la question de forme, aussitôt, devient considérables

Si ce qu’il y a plaisir à louer du Commentaire de M. Benoist, c’en est le réel intérêt littéraire, et historique, ce qu’il est juste aussi de louer de la traduction de M. Rostand, c’en est l’exactitude, la fidélité rare, et si je puis ainsi dire, l’absolue probité. Personne, en effet, n’ignore que, pour peu qu’un texte offre de difficultés, il existe au moins deux moyens de le traduire sans le traduire, ou, autrement dit, de l’escamoter. Le premier consiste à mettre le mot sous le mot et de ce décalque matériel d’un original grec ou latin laisser au lecteur le soin de tirer un sens. Il y réussit quelquefois, — quand il sait lui-même d’abord le latin ou le grec. Ce moyen est fort apprécié des candidats au baccalauréat, des fabricateurs de traductions, interlinéaires, et, si je ne me trompe, de quelques-uns aussi des savans auteurs de ces traductions latines que l’on trouve, dans quelques, éditions, en regard d’un texte grec. Le second est plus habile, il se réduit à donner du texte une idée générale, vague et lâche, et comme envelopper l’original d’un vêtement flottant qui ne dessine pas les formes, ni ne colle en aucun point, mais se prête, et recouvre indifféremment les deux au trois sens que peut admettre uni passage controversé. Je ne pense pas qu’aucun lecteur s’étonne qu’il y ait en grec ou en latin des passages controversés : il y en a dans La Fontaine, et il y en a dans Molière ; il y en a de controversables dans Lamartine et dans Musset ; mais je suis épouvanté quelquefois de ce que l’auteur des Quatre Vents de l’esprit a déjà taillé de besogne aux commentateurs de l’avenir.