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des moyens qui lui sont propres aux moyens propres de la peinture, elle procure aux yeux, non pas certes la sensation de l’original, mais le meilleur secours pour la retrouver. Et ce que la gravure a ainsi de franchement infidèle, ou, pour mieux dire, d’incomplet, il est toujours plus facile à l’imagination de le réparer, qu’il n’est facile aux sens de se débarrasser de l’obsession d’une copie pour ressaisir sous l’imitation la valeur de l’original. Traduire en vers, c’est copier, mais c’est graver que de traduire en prose. « Divinité d’invention, grandeur de style, magnificence de mots, gravité de sentences, audace et variété de figures, et tout ce que les Latins appelaient genius, » voilà justement ce qu’aucune traduction ne saurait reproduire, et voilà ce qu’une traduction en prose déclare d’abord qu’elle ne reproduira pas, mais voilà ce qu’une traduction en vers affiche toujours plus ou moins la prétention de reproduire.

On dira peut-être que, comme il y a des copies que les meilleurs juges ne sauraient distinguer d’avec leur original, il peut y avoir aussi des traductions en vers d’un tour si libre et d’une allure si personnelle qu’on les prendrait pour des originaux. Je le sais, j’en connais, je vais en citer, et d’après Catulle. Tel est ce joli couplet du chant d’hyménée si justement célèbre :

Ut flos in sæptis secretus nascitur hortis ;..

nous en avons une traduction aussi charmante que fidèle :

La jeune fille est semblable à la rose
Au beau jardin, sur l’épine naïve,
Tandis que sûre et seulette repose
Sans que troupeau ni berger y arrive.
L’air doux l’échauffé, et l’aurore l’arrose,
La terre, l’eau, par sa faveur l’avive,
Mais jeunes gens et dames amoureuses,
De la cueillir ont les mains envieuses.
La terre et l’air qui la souloient nourrir
La quittent lors, et la laissent flétrir.

Tel est encore le couplet suivant :

Ut vidua in nudo vitis quse nascitur arvo…

heureusement imité par Baïf :

La vierge est semblable à la vigne,
Qui seule naît en lieu désert.
Ensemble elle a tige et racine
Ses raisins souvent elle perd,