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Idole des soldats, Antoine, au contraire, ne songe pas assez à ménager la fierté des Romains ; l’affection de son armée lui suffit. On a souvent comparé de son vivant ce brillant lieutenant de César à Hercule : du demi-dieu victime de Déjanire, si l’histoire, telle que l’ont écrite les amis de Brutus et les flatteurs d’Auguste, ne nous abuse pas étrangement, Antoine aurait eu surtout les faiblesses. Il accourt à Éphèse avec Cléopâtre : huit cents vaisseaux, seize légions, 120 millions de francs, les deux complices semblent avoir tout rassemblé pour s’emparer à coup sûr de l’empire. La force, sans le moindre doute, est pour eux ; mais la majesté romaine, que leur alliance offusque, prend parti pour Octave.

D’Éphèse, Antoine et Cléopâtre se portent à Samos ; les préparatifs de guerre de part et d’autre s’accélèrent. Des confins de l’Egypte au Palus Méotide, l’Asie est en mouvement ; l’Europe n’est pas moins active : les levées d’hommes et d’impôts par lesquelles Octave répond aux efforts de son adversaire ont failli un instant indisposer l’Italie ; la levée faite et l’argent versé, comme l’a remarqué avec son profond bon sens le vieux Plutarque, tout redevient tranquille. La plus grande faute, dans les temps de crise, n’est pas de hasarder sa popularité ; la faute sans remède consiste à manquer d’argent et de soldats. Antoine a fait preuve de résolution et d’activité ; Octave montrera la ténacité qu’il tient de ses ancêtres unie à la dissimulation que lui ont départie les dieux. On a souvent dépeint ce caractère froid, qui ne donnait rien aux satisfactions vulgaires et dont tous les actes ne dénotent qu’un but : demeurer le maître. Le monde a trouvé enfin un grand politique ; ce sont rarement les natures aimables qui le sauvent.

La guerre est décrétée : Antoine et Cléopâtre ont tourné par mer le Péloponèse. Réduite à cinq cents navires de guerre, leur flotte est mouillée à l’entrée du golfe d’Ambracie, aujourd’hui le golfe d’Arta ; la flotte d’Octave reste encore concentrée à Tarente et à Brindes. Elle ne compte que deux cent cinquante vaisseaux. Du poste qu’il occupe sur la limite de l’Acarnanie et de l’Épire, Antoine pourra aisément porter la guerre en Italie ; seulement, il faut que son armée qui s’achemine péniblement par terre vers les lieux où il lui a donné rendez-vous l’ait rejoint tout entière. Les moyens de transport ne lui manqueront pas : la flotte de l’Asie, grossie du contingent formidable de l’Egypte, a rempli tout le golfe de sa masse imposante. On voit dans ses rangs des octères, des décères, mesurant du plat-bord à la surface de la mer près de 10 pieds de hauteur, chargées de tours, de balistes et de catapultes, équipées avec une magnificence que ne connurent jamais les escadres du premier des Ptolémées, ni celles que commandait Démétrius Poliorcète. Cette flotte n’a qu’un tort ; elle est, plus qu’aucune autre, difficile à