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qui leur permette de porter des cuirasses dont le poids s’aggrave tous les jours. Que la cuirasse disparaisse, et le problème changera soudain de face.

Le monde maritime est aujourd’hui en proie à une anxiété qu’il n’avait jamais connue jusqu’à présent ; mille doutes assiègent les esprits les plus éclairés et les caractères les plus résolus. En Italie, on croit sage de consacrer toutes les ressources dont dispose le budget naval à la construction de quelques navires gigantesques qui ne puissent rencontrer leurs égaux sur les mers : le Duilio de onze mille six cents tonneaux a engendré l’Italia de quatorze mille trois cent quatre-vingt-dix. Émue non sans raison, l’Angleterre s’est hâtée de mettre en chantier cinq vaisseaux cuirassés de dix mille six cents à onze mille cinq cents tonneaux : le Northumberland, l’Agincourt, le Minotaur, le Dreadnought, l’Inflexible. La France pouvait-elle se défendre d’obéir, elle aussi, à cette marche progressive ? Les frégates de cinq mille huit cent dix-neuf tonneaux, telles que la Provence citée dans son remarquable travail par M. le vice-amiral italien Saint-Bon, font place à l’Océan d’abord, de sept mille sept cent quarante-neuf tonneaux, au Friedland ensuite de huit mille neuf cent seize, à la Dévastation de neuf mille six cent trente-neuf, au Duperré de dix mille six cent quatre-vingt-six, au Formidable de onze mille quatre cent quarante-et-un. Puis tout à coup un mouvement inattendu d’opinion se produit : provoqué par un de nos officiers les plus distingués et les plus regrettés, par le vaillant, par le savant amiral Touchard, ce mouvement se propage et, de proche en proche, finit par gagner l’Angleterre. Le major Arthur Parnell, du corps du génie anglais, vient lui prêter l’appui de son incontestable compétence et propose de constituer la marine britannique sur un plan entièrement nouveau. On aura trois flottes : la flotte de siège composée de navires cuirassés d’un faible tirant d’eau ; la flotte de combat, sans voile et sans cuirasse, ne comprenant que des navires d’un déplacement de quatre mille tonneaux au plus, mais fortement armée et portant un très grand approvisionnement de charbon ; la flotte de croisière enfin destinée à couvrir les mers et à en conserver la jouissance exclusive au commerce anglais ou au commerce des amis de l’Angleterre. Dans cette troisième flotte on fera entrer les vieux cuirassés qui peuvent marcher à la voile comme à la vapeur et on leur adjoindra les frégates, les corvettes à voiles, les bâtimens même plus légers qui ont gardé quelque force militaire. La défense des côtes fort exposées à de soudaines attaques, — car les côtes de la Grande-Bretagne présentent un développement de 2,720 milles, — sera confiée à une nombreuse flottille de canonnières, d’avisos et de bateaux-torpilles.