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les plus graves. Pour comprendre quelle fut la portée de celle-ci, quelques détails sont nécessaires.

Des trois ordres d’enseignement, le primaire, le secondaire, le supérieur, qu’on ne distinguait pas encore avec la même netteté qu’aujourd’hui, le moyen âge n’a parfaitement connu que le dernier. C’est le seul dont on soit alors très préoccupé : l’université obscurcit et absorbe tout le reste. L’étudiant y arrive à quatorze ans, souvent plus tôt, poursuivre les cours de la faculté des arts. Il sait lire et écrire, il a reçu quelques élémens de grammaire, il comprend et parle tant bien que mal ce jargon barbare qu’on appelle alors le latin. C’est assez ; et on le met aussitôt à l’étude de la logique. La logique est le grand art, le seul qu’on enseigne à fond dans les universités du moyen âge. On n’y veut faire que des dialecticiens, et, pour habituer l’esprit à toutes les souplesses de la dialectique, on lui apprend à disputer : il n’y a pas d’exercice plus pratiqué, dans les écoles, que les disputes. « On dispute avant le dîner, écrivait Vives, on dispute pendant le dîner, on dispute après dîner. On dispute en public, en particulier, en tout lieu, en tout temps. » La seule épreuve, quand on veut obtenir le grade de déterminant ou de bachelier, c’est une bonne dispute avec des élèves ou des docteurs, et il faut s’engager par serment à disputer quarante jours de suite, lorsqu’on veut devenir maître ès-arts. Pendant quatre siècles, toute la savante montagne où réside l’Université de Paris n’a retenti que du bruit des disputes.

La renaissance rompt brusquement avec ces habitudes de dialectique à outrance. Ses plus illustres représentans. Vivès, Rabelais, Montaigne, attaquent avec une grande violence un enseignement « qui abastardit les nobles esprits et corrompt toute fleur de jeunesse. » — « Qui a pris l’entendement en la logique, dit Montaigne ? Où sont ses belles promesses ? Voit-on plus de barbouillage au caquet des harengières qu’aux disputes publicques des dialecticiens[1] ? » L’enseignement de la logique doit donc cesser d’être la base de l’éducation. Et que mettra-t-on à la place ? on insistera davantage sur ces études de grammaire dont le moyen âge s’occupait si peu ; cette première instruction littéraire, qu’on puisait je ne sais où, avant d’entrer dans l’université, et dont on semblait faire si peu de cas, va devenir le fondement et presque le but unique de l’enseignement. Comprendre et parler les langues anciennes dans leur pureté, et, pour y arriver, lire les plus célèbres écrivains des

  1. J’emprunte cette citation et beaucoup d’autres au livre si intéressant de M. Compayré intitulé : Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le XVIe siècle. Ce livre a été couronné par l’Académie des sciences morales.