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et d’homme de lettres[1]. » Le mariage de Baduel était déjà une façon assez significative de rompre avec le passé et de laisser entendre qu’il partageait les opinions nouvelles. Dans son collège, il les soutenait et les propageait d’une manière plus directe et plus efficace. C’était alors l’usage que le chef d’un établissement, même quand il n’était pas prêtre, adressât de temps en temps aux élèves de véritables sermons. Baduel en profitait pour expliquer les livres saints dans le sens des novateurs. « Je n’ai garde, écrivait-il à Calvin, d’oublier ma vocation chrétienne et le devoir de confesser le Christ. Les jours de fête, j’explique les proverbes de Salomon et je tâche de former mes nouveaux élèves à la crainte de Dieu et à la vraie piété. À ces leçons assistent beaucoup d’habitans de la ville, et, dans le reste de mon enseignement, je m’applique à ne traiter aucun sujet qui ne renferme quelque grave et sainte leçon. Aussi vois-je des progrès dans le savoir élégant et dans la foi évangélique. Priez Dieu de me mettre en état de suffire à ma tâche ! » Voilà ce que Baduel faisait dans ses classes, à Nîmes, à Carpentras, à Montpellier, partout où les événemens l’amenèrent. C’était une véritable prédication de la réforme, et l’on en vit bien les fruits lorsque, vingt ans plus tard, presque toute la ville de Nîmes se fit calviniste.

On ne peut s’empêcher de remarquer, à ce propos, que la réforme des études au XVIe siècle fut d’abord une œuvre protestante. Jean Sturm, à Strasbourg, comme Baduel, à Nîmes, étaient des partisans décidés de Luther et de Calvin ; nul doute que les générations qu’ils élevaient, et sur lesquelles leur façon d’enseigner leur donnait beaucoup d’influence, auraient été peu à peu amenées à partager leurs opinions. C’est ce que comprirent admirablement les jésuites ; d’un coup d’œil ils aperçurent le péril, et, pour le conjurer, ils se firent hardiment novateurs. Rompant à leur tour avec les traditions du passé, dont ils étaient les défenseurs obstinés pour tout le reste, ils firent entrer dans leur Ratio studiorum toutes les méthodes nouvelles. Ils les y mirent en œuvre avec une habileté merveilleuse, les poussant même à l’excès, et n’hésitant pas à flatter le goût de leur temps dans ce qu’il avait d’exagéré. C’est ainsi que la bourgeoisie fut enlevée au protestantisme. Elle lui aurait sans doute appartenu presque tout entière si le mouvement du début s’était continué, si, grâce à l’attrait des nouvelles méthodes, le flot des élèves s’était toujours porté vers ses écoles. Les jésuites eurent l’adresse de désarmer leurs ennemis de ce qui attirait vers eux ; en

  1. Je reproduis ici l’analyse intéressante que M. Gaufrès présente de cet ouvrage. Il était intitulé : de Ratione vitæ studiosæ ac litteratæ in matrimonio collocandæ ac degendæ. Ce qui prouve que ce petit livre a été beaucoup lu à cette époque, c’est qu’il a eu plusieurs éditions et qu’il fut aussitôt traduit en français.