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beaucoup de ses collègues d’aimer avec passion son état. Les autres professeurs illustres de ce temps, Sigonius, Victorius (Vettori), qui enseignaient comme Ini dans les universités italiennes, ne le faisaient qu’à contre-cœur. Ils regrettaient toujours les loisirs de leur cabinet, où ils composaient de si beaux ouvrages. Muret n’était jamais si heureux que dans sa chaire. Nous avons un discours de lui où il exprime la joie qu’il éprouve à reprendre son cours après les vacances : « Enfin les vacances sont terminées ! » s’écrie-t-il, comme d’autres diraient : « Enfin elles vont commencer ! » Il se félicite de se retrouver au milieu de cette ardente jeunesse dont il peut tout espérer, il revoit avec attendrissement ces jeunes arbres qu’il a plantés, ce troupeau qu’il nourrit, et va jusqu’à penser que ces quatre mois de repos ont dû sembler longs à ses auditeurs comme à lui-même. Voilà certainement une ardeur qui n’est pas commune.

Malgré la distance où nous sommes de lui, nous pouvons avoir quelque idée de la manière dont il faisait ses cours. M. Dejob a très bien montré que, pour composer ses ouvrages, il se contentait de rédiger ses leçons : la leçon se retrouve aisément dans le livre. Une fois son cours ouvert par un de ces discours pompeux que venaient entendre les amateurs de beau langage aussi bien que les écoliers, il choisissait un auteur grec ou latin et l’expliquait : l’explication, dans les écoles de la renaissance, a remplacé la dispute. Muret, quand il explique, cherche surtout à être clair et intéressant. Ce n’est pas un philologue de génie comme ce Scaliger, qu’il appelait son père, comme ce Lambin, avec lequel il a tant discuté. La nouvelle école commence à perdre cette passion de philologie qui avait animé les savans de l’époque précédente. Dans les œuvres de Muret, la restitution des textes tient peu de place. Ce grand effort, qui a produit des merveilles de divination et d’où l’antiquité est sortie toute rajeunie, semble s’être épuisé. Muret s’accommode du texte courant pour peu qu’il soit acceptable. Il essaie seulement de le faire comprendre et d’y intéresser les élèves par des rapprochemens ingénieux avec des passages semblables tirés d’autres ouvrages. La méthode est assurément excellente ; il n’y en a pas d’autre pour exciter l’esprit de la jeunesse, pour éveiller et soutenir son attention. Le dirai-je pourtant ? Ce n’est pas sans regret ni sans crainte que je vois abandonner peu à peu ces fortes études qui ont formé et nourri la vigoureuse génération des savans du XVIe siècle : dès qu’elles s’affaiblissent, toute l’éducation s’en ressent. C’est un mérite et un danger de vouloir trop proportionner l’enseignement à l’intelligence des élèves ; on l’abaisse, on le diminue, quand on n’est préoccupé que de la pensée de mettre tout à