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« Saint Denis vous est-il quelquefois apparu ? — Non, que je sache, » répondit Jeanne, qui parut ne point comprendre l’intérêt que l’on attachait à sa réponse. Cet incident de l’interrogatoire est d’autant plus digne d’attention que Denis est le seul saint au sujet duquel pareille question ait été adressée à l’accusée. Lorsqu’elle avait été blessée à l’attaque de Paris, le 8 septembre 1429, la Pucelle avait déposé ses armes en offrande dans l’abbaye de Saint-Denis, où elle se trouvait alors. Il n’y avait rien là que de très naturel, puisqu’au moyen cage, les hommes d’armes mis hors de combat avaient accoutumé de suspendre ainsi leur harnais en ex-voto dans quelque sanctuaire jusqu’à parfaite guérison. Les juges de Jeanne l’ayant interrogée sur le mobile de cet acte de piété, elle répondit qu’elle avait offert ces objets à saint Denis « parce que c’est le cri de France. » Quelques jours avant cette offrande, les Français, conduits par la Pucelle, avaient repris possession de Saint-Denis, et Charles VII, à peine arrivé dans la célèbre abbaye, s’était empressé de s’y faire « introniser. » La royauté française avait dès lors fait sa paix avec le patron de la dynastie capétienne.

Les Anglais, avons-nous dit, s’étaient établis à Saint-Denis en 1419. C’est précisément à cette date, — il importe au plus haut degré de le faire remarquer, — que le jeune dauphin Charles, régent de France pour Charles VI, prit en quelque sorte officiellement pour patron, pour emblème et, comme on disait alors, pour devise le chef de la milice céleste. Aussitôt qu’il entra en lutte ouverte contre la reine sa mère et le duc de Bourgogne, alliés des Anglais, le futur Charles VII voulut que l’image de l’archange fût peinte sur ses étendards. « Sur les dits étendards, lit-on dans un compte de l’hôtel du dauphin daté de 1419, il y a un Saint Michel tout armé qui tient une épée nue et fait manière de tuer un serpent qui est devant lui, et est le dit étendard semé du mot que porte Monseigneur. » Dans un autre compte, postérieur de deux ans seulement à celui dont nous venons de citer un fragment, il est fait mention « d’un étendard sur tiercelin de trois couleurs à la devise de mon dit seigneur, c’est assavoir un Saint Michel armé. »

Animé de tels sentimens, comment le dauphin n’aurait-il pas attaché le plus grand prix à conserver en sa possession l’abbaye du Mont-Saint-Michel, le sanctuaire le plus vénéré de l’archange ? Dans cette célèbre abbaye, il devait voir plus qu’une position stratégique de première importance ; il y devait voir encore, il y voyait surtout une sorte de palladium à la fortune duquel, suivant la croyance populaire, ses propres destinées et celles de son parti étaient plus ou moins étroitement liées. Aussi, lorsque, vers le milieu de 1419, l’abbé du Mont-Saint-Michel, Robert Jolivet, déserta son abbaye