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toute spéciale de saint Michel. Six mois plus tard, le 14 avril 1423, il donna l’ordre de célébrer tous les ans, dans l’église du Mont-Saint-Michel, le 11 octobre, en souvenir du tragique accident de La Rochelle, une messe solennelle de saint Michel destinée à perpétuer sa reconnaissance envers l’archange qu’il considérait, non-seulement comme son sauveur après Dieu dans le cas dont il s’agit, mais encore comme le protecteur par excellence de sa couronne en général, « afin, pour nous servir des termes mêmes de la charte de fondation, afin que, sous la salutaire direction et grâce à la très pieuse intervention de l’archange que nous vénérons et en qui nous avons la confiance la plus profonde, nous méritions d’assurer la prospérité de notre royaume et de triompher de des ennemis. « La catastrophe de La Rochelle eut beaucoup de retentissement. Dans certaines provinces, comme on le voit par les chroniques du temps, on alla jusqu’à répandre la nouvelle que le dauphin avait été tué, et de la fin de 1422 au commencement de 1424, il ne fut bruit par tout le royaume que du péril auquel l’héritier du trône venait d’échapper grâce au patronage de saint Michel.

Cette nouvelle ne parvint sans doute à Vaucouleurs et à Domremy que dans les premiers mois de 1423 ; Jeannette d’Arc venait d’atteindre sa onzième année. Elle apprit en même temps la mort de l’infortuné Charles VI et le miracle auquel on devait la conservation des jours si précieux de son fils. Avec quelle joie la naïve enfant dut entendre raconter comment le gentil dauphin avait été préservé d’une mort presque certaine et comment l’archange l’avait couvert de sa protection toute-puissante ! C’est alors sans doute que ce cœur virginal, héroïque et tendre à la fois, s’élançant comme d’un bond par-delà le cercle étroit de la famille, commença à battre sous l’empire d’un sentiment nouveau et d’un amour bientôt vainqueur de tous les autres amours, l’amour de la patrie. Cette triple coïncidence de la mort d’un pauvre roi fou, de l’avènement d’un dauphin de dix-neuf ans, du prodige par lequel l’héritier du trône avait échappé à un péril imminent, était bien de nature à laisser dans une telle âme une empreinte ineffaçable et à l’enflammer d’une ardeur qui devait un jour, après avoir couvé pendant six années, enfanter des miracles.


III.

Nous touchons à une date mémorable entre toutes au point de vue du culte patriotique rendu en France à l’archange. Maîtres de la Normandie depuis la fin de 1419, les Anglais n’avaient vu leurs