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Enflammés par ce premier succès, encouragés sinon soutenus par les défenseurs du Mont, qui pouvaient du haut de leurs murailles suivre toutes les phases d’une lutte où se jouaient leurs destinées, Beaufort et les siens en vinrent alors aux mains corps à corps avec les hommes d’armes embarqués sur la flotte anglaise. Après beaucoup de sang versé, ces hommes d’armes furent réduits à se rendre, et la flotte elle-même, sauf deux ou trois navires qui prirent le large et se sauvèrent à force de voiles, tomba au pouvoir des Bretons. « Le bruit de cette victoire alla fort loin, dit Bertrand d’Argentré, et de vrai firent ces seigneurs un remarquable service au roi, dont il fut très content et joyeux, car c’estoit un très grand désadvantage pour ses affaires si cette place, qui seule lui restoit en Normandie, eust esté perdue. »

Aucun document contemporain ne donne la date précise de cette glorieuse affaire, mais on voit par un registre de comptabilité du duché de Normandie dont nous avons publié récemment des extraits que la défaite navale des Anglais devant le Mont-Saint-Michel eut lieu certainement vers la fin de juin 1425. Battu par mer comme par terre, Guillaume, comte de Suffolk, chargé par Bedford depuis le 21 mai précédent de la direction générale des forces assiégeantes, perdit tout espoir de succès, et ne songea plus dès lors qu’à se replier en bon ordre. Le 13 juillet 1425, il passa pour la dernière fois à Ardevon la revue des troupes employées au siège du côté de la terre ferme ; puis il alla investir la place de Mayenne, dans le bas Maine, dont la garnison, placée sous les ordres d’un brave chevalier normand, originaire du Val de Vire, nommé le Baron de Coulonces, était venue plusieurs fois au secours de Nicole Paynel et de ses héroïques compagnons d’armes. Ainsi fut levé, au commencement de ce même été de 1425 où saint Michel allait apparaître à Jeanne d’Arc, le siège le plus opiniâtre, le plus coûteux et le plus long que les Anglais aient mis devant le sanctuaire de l’archange, puisque ce siège par terre, accompagné dès le début des opérations d’un blocus par mer, durait depuis les premiers jours de septembre de l’année précédente, c’est-à-dire depuis environ dix mois.

La perte de la bataille de Verneuil, livrée le 17 août 1424, avait été considérée par les adhérens de la cause nationale comme un revers presque irréparable, et les historiens ont signalé avec raison le profond découragement où ce désastre avait plongé le roi Charles VII et les Français restés fidèles à la fortune de ce prince. La victoire navale de la fin de juin 1425, la levée du siège du Mont-Saint-Michel, conséquence de cette victoire, furent les premiers succès remportés contre les envahisseurs depuis cette journée néfaste qui avait coûté la vie à quelques-uns des plus illustres champions