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ses redoutables caractères d’anarchique incohérence, qui a été altérée, affaiblie, usée par une série de fautes, d’excès de domination, et en face de laquelle on se retrouvera nécessairement un jour ou l’autre à la session prochaine.

Cette situation, qui ne date point d’hier, qui n’a point assurément été créée par le ministère d’aujourd’hui, il faut oser la voir dans sa vérité, dans ses élémens essentiels. Il faut se rendre compte de ce qu’elle est, des causes qui l’ont préparée et aggravée, si l’on veut essayer sérieusement de la redresser en se servant des dernières ressources qu’elle peut offrir encore. Que l’état intérieur de la France se soit progressivement altéré depuis quelques années, qu’il soit à l’heure qu’il est pénible et inquiétant, c’est un fait qui n’est plus même à démontrer. C’est reconnu par tout le monde. Ce qu’on ne dit pas dans les discours, on l’avoue dans les conversations. Partout il y a ce sentiment que toutes les conditions d’une vie régulière sont interverties et confondues, que les pouvoirs publics sont sans force, que l’avenir redevient plus que jamais incertain et obscur. La division est dans les partis, l’impuissance est dans le gouvernement, la lassitude et la défiance sont par une suite toute naturelle dans le pays, qui, après avoir tout accepté, finit par se fatiguer de tout. Le mal est aujourd’hui universel, avéré, et comment en est-on venu là ? Ceux qui ne veulent jamais voir que ce qui flatte leurs préjugés ou qui croient que tout leur est permis peuvent essayer encore de se payer d’équivoques et se figurer qu’avec la réconciliation de quelques fractions d’opinions on remédiera à tout, on raffermira une situation si profondément ébranlée. Pour ceux qui suivent avec quelque prévoyance, avec quelque discernement la marche des affaires, la cause première, essentielle du mal est dans une politique de parti qui s’est cru le droit d’abuser de la France, qui s’est traduite particulièrement sous la forme d’une fanatique intolérance aussi bien que sous la forme de la désorganisation administrative et financière dans un intérêt de domination. Tout cela a marché ensemble, et l’imprévoyance brouillonne dans le maniement des plus grands intérêts du pays n’a été égalée que par le déchaînement de l’esprit de secte dans les questions de l’ordre le plus délicat.

Assurément, si on voulait faire honneur à la république de réformes sérieuses dans l’organisation administrative et judiciaire, on le pouvait, rien n’était plus légitime. Sans doute aussi, si l’on voulait défendre ou sauvegarder l’indépendance de la société civile dans les rapports de l’état avec l’église, il n’y avait là encore rien qui fût contraire à de vieilles traditions libérales de la France. Tout cela était possible, à la condition qu’on procédât sérieusement, avec la mesure toujours nécessaire, en se défendant surtout des tentations exclusives, des épurations par représailles ou des emportemens de persécution. L’erreur