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de la taille, devenait noble quand il était créé chevalier de Saint-Louis, après avoir servi le temps prescrit ; cette noblesse passait même à ceux de ses enfans nés avant son anoblissement.

La transformation de la noblesse en une sorte de grade militaire acheva d’abaisser les barrières qui séparaient la caste privilégiée de la bourgeoisie. Il y eut tant de cas où les bourgeois pouvaient devenir nobles, tant de sources diverses de noblesse, que le public ne fut plus guère à même de distinguer entre les nobles et les roturiers. Le fait de la noblesse n’était plus décelé par la notoriété publique, par la possession continue dans une famille de quelque seigneurie ; sa constatation devenait une affaire de bureau, car elle demandait la vérification de bien des pièces ; elle rentrait ainsi exclusivement dans le ressort des généalogistes, des tribunaux et des chancelleries. Quant au public, il était facile de lui donner le change. Ce qui l’abusait davantage, c’était la possession de ces fiefs qui avaient été dans le principe l’apanage de la noblesse. Les terres nobles avaient commencé de bonne heure à sortir des mains des gentilshommes pour passer dans celles des bourgeois. Les nobles pressés par le besoin d’argent avaient souvent aliéné leur fief à de riches roturiers. Mais le roturier n’était pas apte à remplir toutes les obligations attachées au fief ; l’aliénation en diminuait ainsi la valeur ; le fief se trouvait alors, comme l’on disait, abrégé. Et ce n’était pas seulement le seigneur immédiat qui éprouvait un préjudice, c’était encore le seigneur supérieur, en remontant jusqu’au roi. Voilà pourquoi le suzerain ne consentit à l’achat d’une terre noble par le roturier qu’en retour du paiement de ce qu’on appela le droit de franc-fief, droit que le roi se faisait payer toutes les fois qu’entre l’acquéreur et lui il n’y avait pas trois seigneurs. Cette mesure, toute fiscale d’origine, régularisa et sanctionna les ventes de fiefs aux roturiers. Les bourgeois aisés, profitant de la détresse, de la ruine de nombre de gentilshommes, se rendirent acquéreurs d’une quantité de terres nobles. Boileau reproche durement aux gens de qualité d’abandonner ainsi les vrais titres de leur noblesse. Tout en disant au début de sa satire adressée au marquis de Dangeau que la « noblesse n’est pas une chimère, » il en montre sans détour l’inanité.


Mais, pour comble, à la fin, le marquis en prison
Sous le faix des procès vit tomber sa maison.
Alors ce noble altier, pressé de l’indigence,
Humblement du faquin rechercha l’alliance,
Avec lui trafiquant d’un nom si précieux,
Par un lâche contrat, vendit tous ses aïeux.


L’acheteur roturier fut d’abord regardé comme substitué aux droits du noble, précédent propriétaire, et par cela même anobli,