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sont laissées aux femmes. La distinction consiste dans l’extrême simplicité. On dirait que, d’instinct, notre siècle a adopté un vêtement que même l’homme du peuple peut se procurer. Le partage des successions et d’innombrables sociétés anonymes, représentant le fonds social par des parts assez minimes pour qu’elles puissent entrer dans toutes les épargnes, appellent un nombre rapidement croissant de familles à la propriété. Il en résulte un état social de plus en plus démocratique. Ces exemples montrent comment les progrès économiques favorisent ceux de l’égalité. La machine est le tout-puissant niveleur. Supprimez-la ou résignez-vous au triomphe de la démocratie.

Seulement le progrès de la démocratie, en nous apportant l’égalité, peut nous ravir la liberté. Il n’est pas impossible qu’elle nous fasse, en même temps, très égaux, mais tous également asservis. C’est le danger que redoutent les esprits les plus clairvoyans de notre époque. « On dirait, dit Tocqueville, que chaque pas que les nations modernes font vers l’égalité les rapproche du despotisme. Il est plus facile d’établir un gouvernement absolu, chez un peuple où les conditions sont égales que chez tout autre. » Douze ans plus tard, les événemens sont venus vérifier les prévisions qu’émettait l’illustre écrivain en 1840 De même qu’en Grèce les tyrans surgissaient des excès de la démagogie, ainsi nous avons vu comment le césarisme peut se fonder par le suffrage universel, et même se perpétuer jusqu’à ce que son aveuglement le fausse tomber sous l’invasion de l’étranger. Pour échapper au retour de semblables désastres, il faut examiner comment on peut parer aux difficultés et aux périls que fait naître l’établissement d’institutions démocratiques et libres.


I.

Le couronnement des institutions libres et démocratiques est le régime parlementaire. C’est par ce régime qu’un pays se gouverne lui-même. Grâce à-lui, croyait-on, tout ce qu’une nation renferme de science et d’expérience, concentré en des chambres électives, fait la loi. Ce devrait être le règne de la parole et de la raison, en un mot, du logos. Il y a peu d’années, posséder ce régime était le comble des vœux des peuples qui en étaient encore privés. Aujourd’hui qu’il existe dans tous les pays civilisés, sauf en Russie, on trouve qu’il marche mal : on s’en détourne avec indifférence et parfois comme avec mépris. Peu de temps avant sa mort, le prince Albert disait : Now the parliamentary system is on its trial. Un écrivain russe qui, d’une plume incisive et vaillante, défend le gouvernement du tsar et attaque ceux de l’Occident, O. K., me disait récemment : « La