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chacun répète la formule favorite : Décentralisons. Mais la réforme vantée par tous n’est accomplie par personne. Pourquoi ? Parce que le parti dominant devrait permettre à ses adversaires d’être les maîtres dans certaines parties du pays. Il faudrait renoncer à cet idéal d’une grande nation unifiée, solidaire, marchant en avant tout entière, du même pas, sans souffrir ni dissidens ni retardataires. La république une et indivisible, rêvée par les jacobins, devrait se transformer en une fédération de régions ou même de communes, dont un grand nombre seraient alors gouvernées par ce qu’on appelle la « réaction. » C’est à peu près ce que veulent les économistes à outrance et les collectivistes. Mais le fédéralisme, écrasé en 93, n’est pas encore à la veille de triompher aujourd’hui. Cherchons donc le remède ailleurs, c’est-à-dire dans une réforme du mécanisme gouvernemental.

Un écrivain instruit et judicieux, que Stuart Mill aimait à citer, W. Thornton, très frappé des infirmités du système parlementaire, propose d’y obvier de la façon suivante. Les ministres n’auraient point de politique propre qu’ils s’efforceraient d’imposer aux chambres. Ils suivraient en tout l’impulsion de celles-ci et se borneraient à exécuter leurs volontés. Ils éviteraient de poser à tout propos des questions de confiance et ils ne se retireraient que devant un vote formel qui leur signifierait de s’en aller. En outre, il n’y aurait nulle solidarité entre les ministres. Chacun d’eux porterait uniquement la responsabilité des actes de son département. Celui qui aurait démérité ou perdu l’appui de la chambre déposerait son portefeuille, sans entraîner la démission de ses collègues. De cette façon, on éviterait des changemens perpétuels de ministères qui désorganisent les services et affaiblissent le pays. C’est à peu près ainsi que le régime constitutionnel était pratiqué autrefois en Angleterre, et après 1815, sur le continent. Il l’a été de même récemment en France, et on serait porté à croire que c’est le seul que le parlement veuille désormais supporter. Ce système s’éloignerait beaucoup de celui du gouvernement de cabinet, si admirablement analysé par Bagehot[1] et auquel nous sommes habitués depuis un demi-siècle. Les ministres ne seraient plus que des chefs de bureau. La haute direction de la politique générale passerait entièrement aux mains du parlement. Ce régime peut donner d’assez bons résultats dans une monarchie tempérée, où le souverain exerce encore, en réalité, le pouvoir exécutif ; car on trouverait au moins dans ses conseils l’esprit de suite indispensable à tout

  1. Relire à ce sujet son livre, la Constitution anglaise, si plein d’enseignemens utiles.