Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/894

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du caniche. Mais ce rôle de fourbe me répugnait tellement que ma santé, comme celle du colonel, finissait aussi par s’en ressentir. Puis je lisais dans les yeux bruns et francs de Lilian une expression d’incrédulité qui me mettait fort mal à l’aise. Devant l’abîme qui s’ouvrait sous mes pas, je pris le parti désespéré d’éclaircir la situation, en provoquant une explication. Un certain dimanche, que nous revenions de l’église à la brune, je lui fis l’aveu de mon amour ; elle écouta ma déclaration en proie à une vive émotion. A. la fin, elle murmura qu’elle ne pouvait agréer mes vœux à moins que.., non, ajouta-t-elle vivement, c’est impossible !

— Vous avez dit, à moins que… à moins que quoi ? repris-je avec feu. Lilian, miss Roseblade, depuis un certain temps, je ne sais ce qui se passe entre nous : dites-moi de grâce la vérité.

— Tenez-vous réellement à la savoir ? dit-elle en jetant sur moi un regard voilé de larmes, alors je vais vous l’avouer… C’est à cause de Bingo…

Je reculai épouvanté. Savait-elle donc la vérité, ou la soupçonnait-elle seulement ? Je résolus de m’en assurer. — Qu’y a-t-il de commun entre Bingo et nous ? dis-je d’un ton un peu vif.

— Vous ne l’avez jamais aimé ! répondit-elle en sanglotant, vous ne pouvez le nier.

À ces mots, je me sentis soulagé, car je craignais bien pis encore.

— Non, répondis-je avec franchise, non, c’est vrai, je n’ai jamais aimé Bingo ; mais Bingo me le rendait bien, vous le savez ; il ne guettait que l’occasion de se jeter sur moi… Vous ne me chercherez certainement pas querelle pour cela ?

— Oh ! non, pas pour cela, dit-elle ; seulement je me demande pourquoi vous prétendez maintenant tant aimer Bingo et tant désirer son retour ? Mon oncle et ma tante croient à la sincérité de vos sentimens ; moi, non. Je suis sûre que vous ne seriez pas du tout content de le revoir ici,.. car si vous y teniez, rien ne vous serait plus facile que de le retrouver.

— Moi !.. Que voulez-vous dire ? m’écriai-je d’une voix entrecoupée. Comment pourrais-je le retrouver ?

J’étais plus mort que vif en attendant sa réponse.

— Du moment que vous êtes dans les fonctions publiques, continua-t-elle, rien ne vous serait plus facile que de mettre le gouvernement sur la piste de Bingo ; à quoi donc alors le gouvernement est-il bon ? Il y a longtemps que M. Travers l’aurait retrouvé si je l’en avais prié.

Cet enfantillage de Lilian ne faisait que la rendre plus adorable à mes yeux ; ce qui me déplaisait beaucoup, par exemple, c’était l’allusion qu’elle avait faite à M. Travers, un jeune avocat qui demeurait