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seront ces besoins, et si le nombre des consommateurs sera considérable à un moment donné. Quant aux produits immédiats à exporter, on ne trouvera rien tout d’abord. La présence du chemin de fer décidera les noirs à travailler et à produire. Les premières années d’exploitation seront peu fructueuses, mais il faut avoir confiance dans le succès final. Ce chemin de fer ne sera pendant longtemps utilisé que pour le ravitaillement des ports échelonnés dans la vallée du Ba-Khoy. L’énergique colonel Desbordes, qui a réussi à installer un poste à Makandiambougou (pays de Kita), doit, dans sa prochaine campagne, se rendre à Bamako, sur le Niger. L’année 1883 verra le pavillon tricolore flotter sur les rives du grand fleuve, et, au point de vue politique, on ne peut nier que la voie ferrée en cours d’exécution ne soit d’une utilité indiscutable.

Certes l’entreprise est grandiose et pleine de difficultés. Un climat peu propice aux Européens, mais qui semble devenir plus clément à mesure que l’on pénètre dans l’intérieur, créera bien des obstacles, ainsi que la difficulté de se procurer des travailleurs, les Chinois ne pouvant être utilisés. Les Marocains et les Kroumen suffiront à cette tâche. Si l’on ajoute la présence de la fièvre jaune au Sénégal, qui contrarie chaque année l’arrivage du personnel et du matériel, un fleuve dont le lit semé de bancs de sable n’est navigable que pendant quelques mois, on appréciera le dévoûment patriotique de ceux qui se sont consacrés à l’accomplissement de cette œuvre. Les débuts sont pénibles ; mais le jour prochain où nous serons installés sur le Niger verra les difficultés s’aplanir d’elles-mêmes, et la science de nos ingénieurs saura réaliser le magnifique projet qui a été conçu.

La France ne cherche pas à conquérir ces contrées ; elle ne veut qu’étendre ses relations amicales avec les peuples du Soudan, connaître les ressources qu’ils peuvent offrir à notre industrie et les faire profiter de notre civilisation. L’Européen ne pourra vivre que d’une manière passagère dans ces pays fiévreux ; le noir sera son courtier naturel. Nous avons donc toutes raisons de faciliter le développement de la race nègre et pas une de la détruire, comme font les Américains à l’égard des Indiens dans le Nouveau-Monde. Dans le Haut-Sénégal, le gouvernement français ne songe nullement à faire la conquête du pays et à s’établir par la force brutale : si ce système est condamné avec raison par l’opinion publique. il ne l’est pas moins par la nature même de notre véritable intérêt. Il s’agit simplement d’occuper par des postes-comptoirs quelques points de la ligne qui va du Haut-Sénégal au Niger, puis de les relier par une voie ferrée de 150 lieues qui deviendra le débouché des productions du Soudan central.

Ce n’est pas par la force que nous nous établissons sur ces points ;