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droit. Cet homme, nommé Coumba, appelait à son aide, tout en frappant : « Venez, criait-il, je tiens l’almamy. » Il donna un deuxième coup de sabre sur l’épaule du chef poul, mais celui-ci ne bougea pas. Un enfant, entendant les cris, était allé prévenir Abal. Après avoir inutilement frappé l’almamy, Coumba courut après les Pouls qui fuyaient et coupa le cou à un grand nombre.

Abal arriva sur ces entrefaites. Il vint dire bonjour à Almamy Ibrahima. Almamy lui dit bonjour. « Viens dans le tata (enceinte du village), je vais te faire soigner, » ajouta Abal. Almamy répondit : « Non, je ne bouge pas de place, ni pour aller à Timbo, ni pour entrer dans ton tata. À la fin du monde, on me trouvera ici : Tue-moi. » Abal lui dit alors : « Tu ne veux pas venir ? » Almamy dit : « Non ! » Aux renseignemens que le chef houbbou cherche à obtenir de l’almamy vaincu, celui-ci répond : « Si tu étais mon prisonnier, je ne te demanderais rien ; tu n’as rien à me demander. »

Abal est parti pour retourner dans son village, en disant aux gens qui étaient avec lui de rester et de tuer l’almamy. Ces hommes l’ont tué à coups de bâton, parce qu’un grand marabout comme Ibrahima Sory est invulnérable par le sabre, la balle et le fer. Il faut l’assommer pour en venir à bout ; il a la peau trop dure. Une fois mort, on lui a coupé la tête. Mamadou, fils d’Almamy Sory Dara, est retourné sur le champ de bataille, où il avait laissé son père ; il est descendu de cheval, puis est resté immobile. Les hommes d’Abal l’ont tué à coups de sabre. Un autre de ses fils, Ba Pâté, est venu également se faire massacrer sur le corps de l’almamy, ainsi que ses deux frères, Sadou et Aliou, puis quarante-cinq guerriers pouls sont venus l’un après l’autre se faire tuer, escortés de leurs griots, qui chantaient leurs louanges et les encourageaient à mourir avec leur roi. C’est Bay, Toucouleur du Bondou, griot dévoué à l’almamy, qui, par son chant enthousiaste, avait fait revenir tous ces hommes, qui fuyaient. Il fut massacré à son tour. Un autre chanteur reçut trois coups de sabre et trois balles ; il a survécu. Seul, le plus jeune des chanteurs, appelé Hamadou, dut à sa grâce et à sa bonne mine d’être épargné. Il fut emmené par les Houbbous, et, plus tard, Abal en fit cadeau à Almamy Ibrahima, le chef des souria. La tête d’Almamy Sory Dara fut exposée sur la porte de la maison d’Abal.

Quand le bruit de ce désastre parvint à Timbo, les alfaia proclamèrent Hamadou, second fils de Bou-Bakar, almamy. Celui-ci, depuis son avènement au pouvoir, n’a jamais songé à venger son frère. Je crois devoir ajouter que le chef alfaia est peu influent. Almamy Ibrahima Sory, que son titre d’ancien talibé de Mamadou Djoué, père d’Abal, a rendu favorable à celui-ci, ne permettrait sans doute pas cette expédition.