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quelques années, une idée à laquelle il tient. Il voudrait, dans l’intérêt de la liberté du gouvernement, obtenir du Reichstag le vote du budget pour deux ans. Malheureusement la constitution de l’empire n’a point prévu le cas et n’autorise pas cette combinaison prévoyante qui, au besoin, dispenserait de réunir tous les ans le parlement ; mais qu’à cela ne tienne, M. de Bismarck ne demande pas mieux que de réviser ou interpréter le pacte fédéral. Il a déjà essayé plusieurs fois d’y arriver, et, à la vérité, il n’a point réussi, il a toujours rencontré une opposition décidée. Que faire à cela ? Puisque le chancelier n’a point réussi en attaquant de front la difficulté, il a espéré être plus heureux en la tournant ; il a récemment imaginé une combinaison ingénieuse qui consisterait à faire voter parle Reichstag les deux budgets de 1883-1884 et 1884-1885 simultanément ; les deux budgets étaient distincts, les deux votes devaient se succéder dans cette session même. L’expédient était curieux ; il n’a point eu malheureusement plus de succès que toutes les tentatives précédentes. Le Reichstag, qui n’a pas déjà des droits trop étendus, a refusé de livrer cette dernière prérogative financière et, à une immense majorité il vient de repousser la proposition du chancelier. Les choses en sont là, de sorte que voilà M. de Bismarck, obligé encore une fois de se mettre à la recherche de quelque combinaison nouvelle. À vrai dire, le terrible chancelier a bien des combinaisons à chercher pour arriver à se mettre d’accord avec son parlement ou ses parlemens à l’occasion de tous les projets qu’il leur propose sur les impôts, sur les assurances, sur les monopoles financiers, et qui ne paraissent pas jusqu’ici avoir la faveur parlementaire. M. de Bismarck finira-t-il par réussir ? C’est dans tous les cas un curieux spectacle que celui de ce puissant homme sans cesse aux prises avec des difficultés qu’il crée lui-même et qu’il ne sait comment résoudre.

Des difficultés, il y en a pour les plus grands états, il y en a aussi pour les petits, et dans les pays entièrement libres où il n’y a pas un chancelier pour dicter sa volonté, pour dominer toutes les volontés trop résistantes, ces difficultés ont une solution naturelle : un vote en décide. Un événement ou un incident singulier qui s’est terminé par un vote populaire, par un plébiscite, vient de se passer en Suisse, et comme la Suisse est un pays de république, de démocratie, de suffrage universel, l’incident a son intérêt pour ceux qui vivent sous les mêmes institutions. Il peut surtout être un avertissement pour ceux qui, sous prétexte qu’ils sont les représentans privilégiés de la république, de la démocratie, sont tentés d’abuser d’une victoire d’un moment.

La Suisse est aujourd’hui le seul pays de 1 Europe où le plébiscite soit un droit, un usage consacré par la constitution, et ce droit de plébiscite ne s’exerce pas seulement dans des circonstances graves, exceptionnelles, par exemple pour la révision ou l’interprétation du pacte fédéral ; il peut aussi s’exercer à l’égard de toutes les mesures législatives