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a obtenu près de deux cent mille signatures au lieu des trente mille exigées par la constitution. Dès lors la lutte était engagée dans le pays tout entier, et elle a été des plus vives. Vainement les radicaux, s’apercevant un peu tard de leur imprudence, ont essayé d’atténuer la portée de leur création et de leurs intentions ; vainement aussi ils ont usé dans la lutte de tous les moyens d’influence administrative ou personnelle dont ils peuvent disposer. Le mouvement était trop prononcé, trop spontané et trop vif pour être aisément détourné, et lorsque le scrutin s’est ouvert, aux derniers jours de novembre, l’arrêté fédéral du 14 juin soumis au vote populaire a été repoussé à une majorité de près de 150,000 voix ; il n’a obtenu quelque petit avantage que dans trois cantons et demi, Soleure, Thurgovie, Neufchâtel, Bâle-Ville. Les plus grands cantons, Berne, Zurich, Genève, ont voté contre l’arrêté. La victoire de l’autonomie est complète : la défaite de l’esprit de centralisation est éclatante, et au premier abord il semblerait que le crédit des radicaux qui sont au pouvoir dût en être ébranlé ; mais ceux-ci ont déjà pris leur parti, et, à la récente réunion des chambres suisses, les présidens des deux assemblées se sont hâtés de déclarer que le peuple avait parlé, qu’il fallait s’incliner, qu’il n’y avait plus pour les chambres qu’à s’efforcer de « rétablir le contact qu’elles ont perdu avec la nation. » Rien de mieux ; c’est la mobilité pratique de cet épisode, et elle est à l’usage des radicaux de tous les pays qui se figurent qu’ils peuvent impunément et indéfiniment se livrer à leurs fantaisies sans tenir compte des croyances, des traditions, des sentimens intimes d’une nation.

Le parlement espagnol vient de se rouvrir à son tour, comme la plupart des parlemens européens, et si les circonstances dans lesquelles il reprend ses travaux n’ont rien d’éclatant, elles ne laissent pas d’offrir un certain intérêt. Cette session annuelle piquait même d’avance la curiosité, et elle était attendue d’autant plus impatiemment à Madrid qu’on se demandait quelle figure allait faire le ministère de M. Sagasta en face de l’opposition nouvelle qui travaille à s’organiser depuis quelques mois. Au point de vue parlementaire, la question a été bientôt tranchée ; elle a été résolue dès les premiers jours par l’élection à la présidence du congrès de M. Posada Herrera, candidat ministériel. M. Posada Herrera l’a emporté sans grand effort sur son concurrent, le général Lopez Dominguez, qui est le propre neveu du général Serrano, chef de l’opposition nouvelle ; mais ce n’est là évidemment qu’une escarmouche de scrutin qui ne peut avoir une signification bien décisive. La vraie question est de savoir quelle sera l’attitude, la politique du ministère au milieu des partis, en face d’adversaires qui le pressent de toutes parts et dont quelques-uns ne sont pas suis importance. Le principal de ces adversaires, on le sait, est aujourd’hui le général Serrano en personne qui, après sept ou huit années de