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charmes. Bientôt elle donna dans des débordemens qui ne le cédaient guère à ceux de son époux. » lis divorcèrent en 1769. Frédéric-Guillaume épousa une princesse de Darmstadt. Le second mariage ne fut pas plus heureux que le premier. La princesse ne se vengea point; mais elle aurait eu des motifs de le faire. Le prince reprit ses habitudes de débauche. Avec beaucoup de caprices, il eut une maîtresse en titre. Cette personne, qui sut toujours garder la faveur, sinon l’amour de Frédéric-Guillaume, était la fille d’un petit musicien. Elle épousa le valet de chambre du prince, devint Mme Rietz et fut faite plus tard comtesse de Lichtenau[1]. Frédéric-Guillaume avait eu de son premier mariage une fille, la princesse Frédérique, qui était élevée par la reine, femme reléguée sinon répudiée du grand Frédéric. Le père en visitant sa fille s’éprit d’une de ses demoiselles d’honneur. Elle se nommait Mlle de Voss, était de bonne maison, cousine d’un des ministres du roi, M. de Finckenstein, et avait un frère président de chambre. « Cette belle qui, selon moi, est fort laide, écrivait Mirabeau, est un mélange de pruderie et de cynisme, d’affectation et d’ingénuité;.. elle a une sorte d’esprit naturel, quelque instruction, des manies plutôt que des volontés, une gaucherie... qu’elle s’efforce de sauver par les apparences de la naïveté... Pour toute grâce elle n’a que le teint du pays, encore le trouvé-je plus blafard que blanc ; une gorge très belle. Ce mélange de licence unique, qu’elle joint aux airs de l’ignorance innocente, et de sévérité de vestale a, dit-on, séduit le prince. »

Frédéric-Guillaume était de ces libertins compliqués qui cherchent dans une résistance savante un ragoût pour leur passion et un calmant pour leurs scrupules. Le manège de Mlle de Voss dura près de deux années. Les péripéties de ce singulier roman étaient la fable de la cour. La propre tante de l’héroïne, une grande dame très sensible, vertueuse en ce qui la concernait, mais aveuglée et confondue devant la majesté royale, en a soigneusement noté dans son journal les piquans épisodes. Il n’avait point encore de dénoûment lorsque la mort du grand Frédéric en suspendit le cours pour quelques semaines. Roi depuis le 17 août 1786, Frédéric-Guillaume avait, au début, tout oublié pour les affaires. Mais, dès le 8 septembre, Mirabeau constatait que a la ferveur du novice paraissait se ralentir. Mlle de Voss, ajoutait-il, est prête à céder. » Le roi, pour la voir plus à l’aise, avait monté une maison à sa fille Frédérique; Mlle de Voss en faisait les honneurs. L’année se passa cependant sans que la vestale se rendît. Elle aimait le roi; mais

  1. Voir, outre le livre de M. Philippson, les Souvenirs de la comtesse de Voss, Leipzig, 1876, et Wolf : OEsterreich und Preussen, Vienne, 1880.