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aventurier de génie a pu dire à sa plume les paroles que Cervantes disait à la sienne : « Tu vas rester pendue à ce crochet et à ce fil de laiton, ô ma petite plume bien ou mal taillée, je ne sais! Là tu vivras de longs siècles, et si de présomptueux et malandrins historiens te détachent pour te profaner, tu leur diras : « Halte-là, félons! que personne ne me touche, car cette entreprise à moi seule était réservée. »

Il faudrait être plus présomptueux que Benvenuto lui-même pour se faire son biographe. Mais s’il est défendu d’écrire sa vie, il est permis de commenter ce qu’il en a écrit, d’en éclaircir les points obscurs, de vérifier et de contrôler les assertions qui s’y trouvent. L’historien n’a rien à dire de Cellini; le critique peut encore parler de lui. Déjà Francesco Tassi, dans son édition des Mémoires, M. Milanesi, dans les notes des Traités de l’orfèvrerie et de la sculpture, le marquis de Laborde, dans la Renaissance des arts à la cour de France, MM. Bertolotti et Campori, dans des mémoires sur le séjour de Cellini à Rome, avaient mis en lumière nombre de documens importans ou curieux. Il y avait encore de nouvelles recherches à faire, de nouvelles pièces originales à découvrir; il y avait à rassembler tous ces documens épars: il y avait enfin adresser le catalogue de l’œuvre de Cellini. Cette tâche a tenté M. Eugène Pion, dont on n’a pas oublié les remarquables débuts comme historien de l’art[1] et qui, imprimeur, libraire et écrivain, continue les belles traditions des Estienne. Il a scruté les archives de Rome, de Florence et de Paris ; il a étudié dans les musées et les collections particulières de l’Europe tout objet pouvant être attribué au grand orfèvre, en sorte qu’il nous donne à la fois de curieux paralipomènes à la vie de Cellini et le catalogue complet de ses œuvres, de celles qu’on peut lui attribuer et de celles dont l’attribution est due aux rêves des collectionneurs. Ce livre, nous tenons à le répéter à l’honneur de M. Eugène Pion, n’est point l’histoire de la vie de Benvenuto Cellini; c’est le commentaire de cette histoire au moyen de documens originaux. M. Eugène Plon ne l’a point écrit pour qu’il supplée aux Mémoires, mais pour qu’il les complète.

Le livre de M. Abel Desjardins sur Jean de Bologne a un intérêt différent, bien que non moins sérieux. Autant la vie de Benvenuto Cellini est connue en tous ses détails, autant est ignorée celle de Jean de Bologne. Le nom même sous lequel il est célèbre dans la statuaire n’est point tout à fait le sien. Vasari l’appelle le Bologna, les historiens de la sculpture, les lexicographes, les voyageurs et les

  1. Voyez, dans la Revue (n° du 1er juin 1868), l’étude de M. H. Delaborde à l’occasion du premier livre de M. Eugène Plon : Thorvaldsen, sa vie et son œuvre.