Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce grand homme demandait pardon à Dieu et aux hommes de n’avoir pas fait pour son art tout ce qu’il aurait pu faire. Il n’avait rien d’autre sur la conscience. Corrège et André del Sarto poussaient jusqu’à la faiblesse la modestie et la douceur. Ceux-là ne réclamaient pas le prix d’un tableau, la main à la garde du poignard. Bramante, Jules Romain, Paris Bordone, sont renommés pour leur bienveillance envers les artistes, Vasari rapporte du Primatice de beaux actes de générosité et dit que ceux qui l’avaient approché « le chérissaient et le respectaient comme un père. » Giorgione aimait la musique, les gaies réunions d’amis, les fêtes galantes. Sa vie semble une page du Décaméron. Il mourut de la peste peu après la maladie de sa maîtresse, qu’il n’avait pas voulu abandonner durant son agonie. Jaloux des succès du Titien, il ne marqua cette jalousie qu’en s’abstenant de voir son rival. ne grand seigneur, Titien avait les belles manières, l’esprit, le charme; il passait pour le plus habile courtisan de son temps. Brunelleschi s’avoua vaincu d’avance dans un concours avec Ghiberti. « Il serait plus honteux, dit-il, de lui disputer la victoire qu’il n’est généreux de la lui céder. » Donatello, à qui Pierre de Médicis avait donné des terres dont les revenus étaient considérables, pria bientôt le prince de reprendre ce domaine : « Je préfère mon repos, lui dit-il, aux ennuis dont m’accablent les fermiers en venant se plaindre à moi tous les trois jours, tantôt de la pluie, tantôt de la sécheresse, tantôt de la maladie des bestiaux. J’aime mieux mourir de faim que d’être importuné de toutes ces choses. » Benvenuto n’eût pas eu cette philosophie. A coups de bâton, sinon à coups d’arquebuse, il eût fermé la bouche à ses fermiers. Botticelli se plaisait à jouer des tours à ses élèves et à ses amis, mais il les en tenait quittes pour la peur; Verocchio avait la repartie mordante, mais il ne joignait pas le geste à la parole. Michel-Ange passait pour insociable, brutal et atrabilaire; cela empêche-t-il que la vie de ce grand homme, tout entière consacrée au travail, ne doive être donnée en exemple? Il en est de même de l’existence calme et laborieuse de Jean Boulogne.

Les meurtres, les violences, les rivalités farouches de Cellini évoquent de moins beaux souvenirs et de moins nobles caractères. On pense à Bandinelli vaniteux, cupide, colérique, calomniateur, qui se vantait de n’avoir jamais dit de bien de personne et qui par basse envie détruisit des cartons de Michel-Ange. On pense au Rosso, qui s’empoisonna de remords après avoir accusé de vol un de ses amis et requis la question contre lui; à Pietro Torrigiano, qui, discutant avec son condisciple Michel-Ange, lui brisa le nez d’un coup de poing et, banni de Florence, courut l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne pour aller mourir dans un in-pace de l’inquisition. Il avait