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sculpté une statue de la Vierge qui lui fut payée beaucoup moins qu’il ne s’y attendait. Transporté de colère, il prit son marteau et brisa le marbre. La statue, destinée à une église de Séville, venait d’être bénite; Torrigiano fut condamné comme sacrilège.

Benvenuto Cellini est un possédé d’orgueil et de colère. Il dit un jour à Sansovino : « Les hommes de talent qui font de bons et beaux ouvrages sont beaucoup mieux appréciés quand ils sont loués par les autres que quand ils chantent eux-mêmes leurs louanges. » C’était parler d’or. Malheureusement, Cellini ne se souvient pas de ses paroles quand il est question de ses propres œuvres. Fait-il une médaille, « c’est la plus belle de la chrétienté. » Présente-t-il au pape le modèle d’une monture de bijou, qui est fort admiré, il assure qu’en l’exécutant, « il fera cent fois mieux encore », et « que si elle n’est pas dix fois mieux, il consent à n’être pas payé. » Montre-t-il à François Ier la cire de sa fameuse salière, il attribue cette exclamation au roi : « Quel homme merveilleux! cet ouvrage est cent fois plus divin que je ne l’aurais imaginé. » L’outrecuidance est chez lui à l’état aigu, l’hyperbole à l’état chronique. Quand il parle du bouton de chape qu’il fit pour le pape Clément VII, il se compare à Phaéton, « à cette différence que Phaéton se rompit le cou dans son entreprise, au lieu que lui, Cellini, en retira infiniment d’honneur et de profit. » Idolâtre de ses propres œuvres, il semble que leur éclat l’aveugle quand il regarde celles des autres. Sauf Michel-Ange, aucun artiste n’est digne de lui être opposé. Tous sont de gauches praticiens ou d’infimes barbouilleurs. Écoutez-le parler de Bandinelli, de l’Ammanato, de Sansovino, de Primatice, écoutez-le condamner le « mauvais goût et le mauvais style de tous les artistes de France » alors que ces artistes comptaient parmi eux Jehan Cousin et Jean Goujon. Les antiques mêmes ne supportent pas la comparais n’avec ses statues. On exposa le même jour à Fontainebleau, dans la galerie des fêtes, le Jupiter de Cellini et six figures de bronze reproduisant les plus beaux marbres du Vatican, l’Apollon du Belvédère entre autres. Le roi, daignant à peine s’arrêter devant les antiques, ne trouva d’éloges que pour le Jupiter. « Il faut, dit-il, tenir Benvenuto en haute estime, puisque ses ouvrages non-seulement égalent, mais encore surpassent ceux des anciens. »

Appelé «mon ami » par les rois et les princes régnans, Benvenuto mio par les papes, décrété homme unique et infaillible par Paul III qui dit: « Les hommes uniques dans leur profession, comme Benvenuto, ne doivent pas être soumis aux lois, et lui moins qu’aucun autre, » l’orfèvre sculpteur se croit de bonne foi un être en dehors de l’humanité. Il ne lui suffit pas d’avoir aperçu, étant enfant, une salamandre, « animal qu’aucune autre personne n’a jamais vu. » Un prodige