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village entre Zienitza et Visoka porte encore le nom. De ce mariage est issu l’arrière-grand-père de Fazli, qui naquit lui-même l’an 1222 de l’hégire (1806). A douze ans, il entra comme page dans le palais du gouverneur turc, où il fut élevé ; à vingt-quatre ans, il fut nommé mollah ou cadi, ce qui ne l’empêcha pas, en 1828, lors de la guerre turco-russe, de se mettre à la tête d’une troupe de volontaires et d’aller combattre en Bulgarie les ennemis de l’islam. En récompense de ses services, le sultan Mahmoud le nomma en 1836 pacha et gouverneur de Serajewo. Il maintint l’ordre avec une sévérité impitoyable, mais s’étant brouillé avec Omer-Pacha, il tomba en disgrâce et fut rappelé à Constantinople, où il passa dix-huit années. De retour de cette espèce d’exil, il ne s’occupa plus que de la gestion de sa fortune, et il ne sortait de son recueillement que pour user de son ancienne influence en faveur du maintien de l’ordre et de la paix sociale. Comme on le voit, Fazli-Pacha est un caractère, et c’était de la part du général Philippovitch un acte de bonne politique que de placer sous le patronage de son nom respecté la reconstitution de la municipalité de Serajewo, chargée d’administrer une ville où le vieux levain du fanatisme a plus que partout ailleurs besoin d’être apaisé. — J’avoue, à ma honte, que ces grandes pensées étaient loin de me préoccuper au moment où, après quinze jours et quinze nuits passés sur les chemins invraisemblables et dans les hans primitifs de la Bosnie, nous nous installâmes avec joie au consulat de France, mis gracieusement à notre disposition.


III.

Les Osmanlis prétendent que la capitale de la Bosnie serait, après Constantinople, la plus belle ville de la Turquie d’Europe. Je ne puis contrôler la vérité de ce dire, mais il m’a semblé qu’extérieurement, du moins, Serajewo ressemblait à toutes les villes orientales avec les minarets de ses mosquées, les coupoles de ses bains et de ses églises grecques orthodoxes, les clochers plus modestes de ses églises catholiques et enfin les mâts multicolores de ses maisons consulaires, — le tout émergeant d’un dédale de petites ruelles, à peine coupées dans deux ou trois directions principales par des voies plus larges et moins tortueuses. Il y a cependant un trait dont il est impossible de ne pas être frappé : on sait que, dans tout l’Orient, les différentes confessions religieuses se distinguent extérieurement par quelques particularités ; mais parmi les populations fanatiques de la Bosnie et de l’Herzégovine (et surtout à Serajewo), ces démarcations sont observées avec une rigueur scrupuleuse. Ainsi, tandis que, dans la plupart des villes de la Bulgarie, de la Roumélie