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natte fabriquée en Bosnie jusqu’aux belles tentures de Roumélie et de Bulgarie, et les dessus de table en poil de chameau, venant de Stamboul. Enfin, des couteaux, de belles armes anciennes, de très jolis objets d’ébène incrustés d’argent et des ciseaux damasquinés d’or de Prizrend, en Albanie, etc. On trouve tout ce qu’on veut dans la boutique de Mehemet, mais, malgré, ses instances et ses ruses intéressées, je voulais réserver une partie de mes ressources pour aller acheter quelques souvenirs aux véritables représentans de l’industrie bosniaque, c’est-à-dire aux fabricans du Thartchi.

Extérieurement, ce quartier ne présente aucune différence avec le bazar proprement dit ; seulement, on n’y vend presque toujours, dans chaque boutique, qu’une espèce de marchandise, et quand on jette un coup d’œil dans le fond des échoppes, ou voit le marchand travailler avec un ou deux ouvriers, et ne se déranger pour grimper sur son estrade qu’au moment même où quelque client se présente. Il y a là une quantité de cordonniers et de tailleurs, puis des fourreurs qui préparent, assez médiocrement du reste, des peaux d’ours, de loups et de renards ; des selliers-harracheurs, des fabricans de filigranes d’or ou d’argent qui rappellent par leurs formes le style de Byzance ; des menuisiers, ouvriers hongrois, depuis longtemps installés à Serajewo ; des couteleurs qui vendent des poignards ou d’excellens coutelas dont quelques-uns, niellés d’or ou d’argent et rehaussés de pierres fines, sont de véritables objets d’art et justifient la réputation des ouvriers damasquineurs : on assure, en effet, que, lors de la conquête du XVe siècle, les sultans appelèrent de Damas des artisans en métaux, et que les vraies traditions de cette célèbre fabrication se sont conservées dans la Damas du nord, comme on appelle encore Serajewo.

À côté des couteliers, ou peut également citer les armuriers, dont l’habileté ne le cède en rien à celle des couteliers, et les orfèvres qui font des services à café en argent et en enivre, dans lesquels on retrouve de belles lignes et des formes élégantes. Ce sont ces orfèvres qui vendent les amulettes ou talismans dont les Slaves du Sud sont si friands. Les plus recherches pour les merveilleuses propriétés qu’on leur attribue, — en particule r contre les maladies de la peau, — sont les cornalines et les jaspes rouges, que l’on trouve en assez grande quantité dans certaines vallées de la contrée, et que des mendians vagabonds viennent vendre à l’état brut sur les ponts de Serajewo. On grave sur ces pierres des étoiles, des monogrammes cabalistiques que le nom arabe du propriétaire, et on les porte en bagues, en colliers, en bracelets ou attachées aux vêtemens. Le cachet-talisman se distingue du cachet ordinaire en ce que l’inscription n’y est pas rétrograde. On rencontre souvent parmi ces amulettes des bijoux antiques, découverts dans le pays