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plus rétrograde et le plus féodal de toute la Turquie; aussi, la Bosnie n’a-t-elle cessé de protester par les armes contre les réformes de Mahmoud II et d’Abdul-Medjid. Cette aristocratie, très oppressive pour ses vassaux, est musulmane, mais nullement turque ; elle conserve ses usages, sa langue et ses noms de famille, et le voyageur qui ne saurait que le turc éprouverait en parcourant la Bosnie des mécomptes continuels... » On comprendra ces résistances aux réformes, si l’on se rappelle qu’en réalité la Bosnie et l’Herzégovine étaient, depuis la conquête, des provinces autonomes, administrées par les begs ou possesseurs de fiefs nobles, exempts de tout impôt et ne devant au suzerain de Constantinople que le service militaire en cas de guerre.

La terre y appartenait exclusivement, sous la dénomination de spahiliks, à cette arrogante noblesse héréditaire qui se transmettait ses fiefs, non par droit d’aînesse, mais indivisément, suivant l’usage oriental, entre tous les membres d’une même famille, qui choisissaient pour chef le plus brave ou le plus âgé d’entre eux, chargé, en cas d’appel aux armes, de les conduire au combat. Dans la seule Bosnie, il y avait douze mille de ces fiefs disposant de quarante mille soldats. Cette organisation avait été acceptée par la Turquie, dans l’impossibilité, au moment de la conquête, de réduire autrement ces fiers vassaux. Mais quand, la paix rétablie, elle put consacrer à des réformes intérieures une partie de ses forces, elle s’attacha avec cette patience persévérante qui distingue les théocraties à diminuer l’importance des begs slaves ; son premier pas dans cette voie fut l’envoi en Bosnie d’un pacha chargé de représenter à titre permanent le pouvoir central.

Le rôle de ce fonctionnaire fut d’abord des plus effacés. Installé à Trawnik, seule ville où, comme nous l’avons vu plus haut, il lui fût permis de résider, il dut d’abord se bornera bâtir des mosquées pour réchauffer le zèle des musulmans envers le calife de Constantinople, à nommer des cadis pour connaître sinon de tous les crimes et délits qui appartenaient à la justice des begs, au moins des petites causes civiles et religieuses de moindre importance ; puis il s’attacha les chrétiens en maintenant et faisant maintenir les anciens privilèges pour l’exercice de leur culte; enfin, et petit à petit, il mit dans la main du sultan toutes les terres de la contrée restées sans propriétaire. Allant plus loin, le représentant du pouvoir central avait même essayé d’établir un impôt foncier et personnel qui, à la vérité, ne devait frapper que le raïa, — et qui, par conséquent, aurait rapporté peu de chose au trésor, — mais qui, du moins, eût été comme une consécration officielle de la prise de possession du pays.

Les spahis virent le danger et le conjurèrent en se rapprochant de leurs raïas et en se montrant moins exigeans à leur égard. Ils avaient besoin, en effet, de ménager la solidarité qui, malgré eux.