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et des mêmes principes que se tire notre admiration, soit pour les grands écrivains d’autrefois, soit pour ceux d’aujourd’hui. »

Telle est bien, si je ne me trompe, l’idée maîtresse du livre de M. Deschanel. Nous pourrions suivre une à une les applications successives qu’il en fait, ou, plus exactement, les démonstrations qu’il en demande au Cid de Corneille, au Saint Genest de Rotrou, au Don Juan de Molière. Mais ce serait envier au lecteur le plaisir qu’il aura de les aller chercher dans le livre lui-même. Il vaut mieux, il est plus utile, il sera plus intéressant peut-être d’aborder l’idée franchement, et de montrer, par les contradictions mêmes qu’elle provoque, ce qu’elle a d’importance, autant que d’ingéniosité.

Accepterons-nous, tout d’abord, la définition que M. Deschanel nous donne du romantisme? Il est très vrai, j’en conviens, que le mot de romantisme, après cinquante ans et plus de discussions passionnées, ne laisse pas d’être encore aujourd’hui bien vague et bien flottant. On peut donc admettre, dans une certaine mesure, que chacun de nous, sous la seule condition qu’il le définisse nettement, s’en serve d’ailleurs à peu près comme il lui plaira. Cependant, quand cette liberté d’interprétation serait plus grande encore, toujours est-il qu’elle est au moins limitée par les droits de l’histoire, et c’est de quoi M. Deschanel, à ce qu’il semble, n’a pas assez tenu compte. Il est possible, puisqu’on le dit, qu’il n’y ait plus aujourd’hui de romantiques ; mais il n’est pourtant pas douteux qu’il y en ait eu jadis. Toute définition du romantisme devra donc avant tout convenir aux œuvres et aux hommes de l’époque historique bien caractérisée dont ce mot même de romantisme est demeuré l’appellation dans notre littérature. On s’en va redisant et commentant la parole du maître : « Les misérables mots à querelle, classique et romantique, sont tombés dans l’abîme de 1830, comme gluckiste et picciniste dans le gouffre de 1789; » ce qui veut dire uniquement qu’en 1883 nous ne sommes pas en 1827. Et c’est vrai. Mais les historiens de la musique n’imposent pas, j’imagine, l’étiquette de gluckiste ou de picciniste à un contenu quelconque, de leur propre invention, caprice ou fantaisie; l’un et l’autre mot, s’ils ne représentent plus rien, ont incontestablement représenté quelque chose; et ce quelque chose est strictement défini par la nature même et l’opposition des œuvres de Gluck et de Piccini. Les historiens de la littérature, à leur tour, se feront du romantisme telle ou telle idée qu’ils voudront; mais, s’ils prétendent que l’on reçoive leur définition pour valable, il faudra nécessairement qu’elle convienne, et d’abord, aux drames des Dumas et des Victor Hugo.

Je n’insiste pas autrement sur ce point, et moins encore sur ce que l’on a cru trouver d’inconciliable dans la diversité de sens que M. Deschanel a prêtés successivement au mot de romantisme. Il