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si ce n’est sans doute à l’auteur de l’Histoire de Charles XII et du Siècle de Louis XIV? Mais qui ne conviendra cependant que de lui et de l’auteur de la Nouvelle Héloïse et des Confessions, le novateur, c’est le second, et le moins classique? Pareillement enfin, dans l’histoire de la poésie française, et pour prendre un exemple plus voisin de nous, si c’est assurément Victor Hugo le révolutionnaire, ne faut-il pas avouer qu’Alfred de Musset, sans contredit, est plus près de l’idée que l’on se fait communément d’un classique? il se peut donc, à la vérité, qu’il y ait parfois rencontre, chez un grand écrivain, Molière ou Racine, Pascal ou Bossuet, des hardiesses qui font le novateur et des perfections qui font le classique. Mais, en fait, c’est l’exception. Et, en tout cas, si nous avons introduit dans la définition du classique tout ce qu’elle doit contenir, et rien que ce qu’elle doit contenir, non-seulement il ne suffit pas, mais encore il est inutile d’innover pour être classique. Je ne perdrai pas de temps à démontrer que la réciproque est vraie, et qu’évidemment ce n’est pas assez, pour être compté parmi les classiques, que d’avoir beaucoup innové. Mais il faut bien au moins faire voir qu’à propos de Corneille ou de Molière, les innovations dont M. Deschanel s’est complu à les louer sont incontestablement ce qu’il y a de moins classique en eux.

On a dit hardiment, du grand Corneille lui-même, qu’il n’était pas classique. Sans aller tout à fait aussi loin, il est certain que ni son œuvre tout entière n’est classique, ni ses chefs-d’œuvre eux-mêmes classiques dans toutes leurs parties. M. Deschanel cependant ne semble pas douter que, s’il existe un classique dans l’histoire de notre littérature, ce soit l’auteur de Nicomède et de Don Sanche d’Aragon. Et ce qu’il en admire principalement, c’en est sans doute un peu ce que tout le monde en admire, mais c’en est surtout « la peinture de la vie humaine dans sa complexité et ses divers aspects, tantôt élevés, tantôt bas, au moyen de ces drames mixtes, familiers et héroïques, et aussi de ces expressions prises de la langue populaire ou bourgeoise, qui parfois surprennent, mais qui n’en sont pas moins justes et vraies ; » et c’est là ce qu’il appelle expressément le romantisme de Corneille. Or, même en admettant, ce qui n’est pas, que Corneille eût fait révolution en ponant sur la scène ce u drame mixte, héroïque et familier, » c’est justement pour avoir été trop souvent impuissant à débrouiller ces deux élémens, l’héroïque et le familier, qui se contrarient, se combattent et se nuisent dans son œuvre, qu’il n’a pas pu réussir à toucher la perfection classique de son genre. Comme encore, c’est précisément pour abonder en « expressions prises de la langue populaire ou bourgeoise, » et qui presque partout, quand elles ne sont pas en