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est en Grèce, un sol rougeâtre d’où sortaient des roches moussues, des lentisques aux étoiles blanches, des myrtes et des plus maritimes. Après la chaîne des Mores, toute couverte de forêts sombres, la route s’engageait dans l’Esterel et se continuait sous bois, au milieu des blocs d’un porphyre rouge et de grands massifs de bruyères blanches jusqu’à Grasse, la ville aux parfums. Puis l’on descendait dans la direction de Nice. A gauche, on découvrait les Alpes neigeuses; à droite, la mer, et par un temps clair, lumineux, à la limite des eaux, une bande de terre noire, la Corse. À cette époque, les villages du littoral, qui depuis sont devenus des villes opulentes, étaient sans doute aussi pauvres qu’aux temps reculés où les Sarrasins et les Normands venaient les saccager : maisons basses blanchies à la chaux, à toiture rouge, abritées du soleil pendant l’été par le feuillage d’un mûrier à la blanche écorce, et garanties l’hiver des vents d’est ou du féroce mistral par une double rangée de cyprès. Au centre du village, des ânes, des poules, un puits où des femmes aux petits pieds, aux mains nerveuses, aux yeux noirs et portant sur leurs traits l’expression doucement résignée des femmes arabes, puisaient une eau fraîche.

Que trouvait-on en 1860 à Hyères? Un hôtel, un seul, où des poitrinaires venaient, l’hiver, rendre le dernier souffle. La solitude et le silence des villes mortes dominaient à Saint-Tropez et à Fréjus; les Arcs, Saint-Raphaël n’existaient pas. Un commencement de vie se manifestait de Cannes jusqu’au site sauvage où allait s’élever la villa Bruyères. Rien au golfe Jouan que l’auberge légendaire que l’on sait. Antibes, placé dans le plus beau site du littoral, encaissé dans les Alpes blanches et dans la mer bleue, restait, malgré les offres brillantes de lord Brougham, dans l’immobilité qui lui est si chère. Le voyage finissait au pied des premiers contre-forts des Alpes baignant dans la mer, d’une rude plage de galets arrondis par un frottement continuel, d’un désert s’étendant de la pointe sauvage de la Garroube jusqu’au lit desséché du Var.

A Nice, — Nizza la Bella, — la colonie étrangère était peu nombreuse et composée de familles riches, avides de distractions et d’amusemens. Grâce à l’administration nouvelle de la France, qui voulait se faire accepter des étrangers et des indigènes, de grands travaux étaient commencés sur divers points de la ville; on pouvait entrevoir déjà la brillante transformation qui depuis s’est opérée dans les promenades, les quais et aux alentours de la gare. Comme aujourd’hui, l’on jouait gros jeu dans les cercles de Nice, plus particulièrement au cercle Masséna et au cercle de la Méditerranée. Mais le jeu ne rayonnait pas au loin, il était local, car l’on n’entrait pas aussi aisément dans les salons en quelque sorte privés des cercles