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sont donnés pour vous engager à poursuivre vos investigations. Les miracles sont faits pour cela.

— Il faut craindre, au contraire, réplique gravement le shaker, de diminuer le miracle en le rendant banal. Aucun des disciples ne sut au juste qui était le Christ avant qu’il quittât ce monde et il n’a voulu se manifester qu’à un seul incrédule parmi tous les millions d’âmes qui aspiraient à toucher du doigt la vérité. C’est une leçon.

— Alors vous désapprouvez les recherches du spiritisme ? Vous condamnez le désir de transformer en certitude absolue la notion confuse que nous pouvons avoir de l’immortalité ?

— Je ne condamnerai jamais la recherche sérieuse de la vérité, dans les conditions voulues.

— Et ce sont ces conditions que j’ai cru trouver chez vous, hasarde Boynton.

Il est faiblement encouragé. Le spiritisme a surgi d’abord parmi les shakers, leur foi se fonde sur une révélation ininterrompue ; à les en croire, ces chants mêmes qui éclatent dans leurs meetings leur sont communiqués, paroles et musique, des sphères célestes, mais le spiritisme du monde extérieur est suspect à ces consciences scrupuleuses. Le docteur s’en aperçoit et s’en afflige ; avant tout il déplore de ne plus pouvoir s’appuyer avec la même sûreté qu’autrefois sur Égérie. Celle-ci a décidément ce qu’il appelle des tendances matérialistes depuis cette maladie qui l’a conduite aux confins de l’autre monde. Le ciel pour elle est descendu sur la terre : une vie utile et active, au milieu de dignes gens qui l’aiment et la respectent, suffirait à le lui donner. Quand son père veut la ramener aux expériences du magnétisme, elle frémit d’une sorte d’horreur :

— Ah ! s’écrie-t-elle, laissons les morts où ils sont. J’adore la vie et je suis si heureuse d’être rentrée en possession de ce trésor !

— Mais, fait observer le docteur, la mort est une condition d’avancement…

Égérie ne se soucie pas d’avancer ; elle discute les idées qu’autrefois elle acceptait sans conteste ; elle ne croit plus à sa propre puissance, et si elle croit encore à celle de son père, c’est pour en avoir peur. Bientôt elle perdra même cette dernière illusion. Le docteur a obtenu des anciens l’autorisation d’organiser une séance de spiritisme à titre d’épreuve et, non sans peine, il a décidé sa fille à y jouer le rôle qu’elle a rempli si souvent avec succès, mais, quelque effort que fasse Egérie pour abandonner sa volonté, elle n’est plus le sujet magnétique qui, chez Mme Le Roy, étonnait les incrédules eux-mêmes ; il semble qu’elle ait dépouillé le passé