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l’imprimerie vient demander compte à Bartley de quelques galanteries sans conséquence, et Bird, un honnête garçon, employé au journal, se fait lui-même le champion de la petite Hannah, dont il est amoureux. L’ivrogne, trop présomptueux, est jeté à la porte, et une querelle violente s’engage entre Bartley et Bird. Celui-ci, frappé au visage, tombe si malheureusement que l’on peut craindre un instant pour sa vie ; il s’ensuit quelque scandale et Marcia rend à Bartley, dans un accès de jalousie rétrospective, l’anneau de fiançailles qu’elle n’a porté qu’un jour.

A peine l’a-t-elle congédié que d’affreux regrets la saisissent. N’avait-elle pas promis de pardonner le passé ? C’est elle qui a tort, elle seule. Et elle voudrait décider son père à tenter une réconciliation, mais le squire Gaylord, qui n’a aucune confiance dans le caractère du journaliste et qui ne consentait au mariage qu’avec peine, est trop content de la rupture pour se prêter à rien de semblable. Il laisse pleurer sa fille, quoique ce chagrin ait un douloureux écho dans son cœur, et compte sur le temps pour amener l’oubli.

Hélas ! Marcia n’est pas de celles qui oublient. Elle revoit Bartley à son retour des grands bois, où il est allé chercher quelques distractions auprès d’une troupe de pionniers. La rencontre a lieu dans une station du chemin de fer, à quelque distance d’Equity, et les deux amans tombent aussitôt entre les bras l’un de l’autre. C’est Marcia qui demande pardon, tandis que Bartley lui fait la confession la plus franche.

Après un silence :

— Marcia, dit Bartley, sais-tu où nous sommes ?

— Je suis avec toi, répliqua-t-elle, la tête cachée sur son épaule.

— Et sais-tu où nous allons ? reprit-il en se penchant pour baiser sa joue pâle et froide.

— Non, répondit-elle avec une indifférence profonde et heureuse.

— Nous allons nous marier.

Il sentit l’étreinte de ses deux petites mains se resserrer sur son bras, tandis qu’un tourbillon de pensées lui traversait sans doute l’esprit. Puis à mesure que s’apaisait cette lutte intérieure, les mains se détendirent et elle s’appuya plus lourdement sur lui.

— Tu as encore le temps de t’en retourner, si tu veux, Marcia. Avant deux heures tu peux être rentrée à Equity. — Elle frissonna. — Moi, je suis pauvre… Je n’ai au monde que quinze dollars et mon cheval que je vendrai. Avec cela je peux me tirer d’affaire, je n’ai pas peur de l’avenir, mais si tu ne partages point ma confiance, si tu n’es pas sûre de toi… Songes-y, nous traverserons des temps difficiles.

— Tu ne m’en veux plus ? répéta Marcia, poursuivie par une pensée, par un remords unique.