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de Miles Arbuton, — c’est le nom du Bostonien, — est d’éviter l’entourage assez vulgaire de cette jolie entant, la jolie enfant elle-même, quoiqu’elle l’attire par son charme involontaire. Miles Arbuton a toute la morgue d’un Anglais ; il est d’une élégance irréprochable, d’une politesse glaciale ; aucun aristocrate ne saurait le dépasser sur le chapitre des préjugés. De longs séjours en Europe l’ont influencé peut-être ; quoi qu’il en soit, la distinction est son idée fixe : tout ce qui est violent, brutal ou commun lui fait horreur ; il déteste par-dessus tout l’exagération, même les exagérations de la nature ; des beautés trop accusées, trop gigantesques, choquent ce goût susceptible ; il faut, pour qu’un paysage parle à l’imagination d’Arbuton, qu’il offre un intérêt historique, qu’il s’enveloppe de la séduction du passé. De là un certain mépris pour les sites américains les plus vantés. Il se tient à l’écart des bruyantes conversations qui s’engagent sur le bateau entre gens également transportés de surprise et d’admiration, mais un incident imprévu le met de force en rapport avec les Ellison. Décidé d’abord à s’en tenir aux politesses les plus superficielles et les plus éphémères, il se laisse prendre, sans concevoir comment, et de plus en plus, à la franchise, à la simplicité, à l’absence complète de coquetterie qui l’ont frappé à première vue chez Kitty. Il se persuade assez facilement qu’il doit avoir affaire à Québec, où elle passe quelques semaines à visiter la vieille cité ; il devient son cicerone avec un singulier plaisir et n’est pas fâché d’être contredit par elle, ce qui arrive souvent, car Miles Arbuton étonne Kitty, mais ne l’intimide pas ; elle reste naturelle, n’hésite guère à exprimer devant lui son opinion et discute volontiers avec cet érudit qu’amuse son audace ingénue, qui est maintes fois frappé en outre de la justesse de ses remarques. Kitty n’est pas une ignorante dans le sens absolu du mot ; son esprit naturel s’est développé par la lecture. A Eriecreek, dans le trou qu’habite sa famille, elle a eu le temps d’étudier et de réfléchir. Un vieil oncle démocrate et abolitionniste lui a enseigné de bonne heure qu’il n’existe entre les hommes d’autres distinctions que celles qui émanent d’une différence d’instruction et de culture morale ; elle croit à l’égalité, elle a le degré de confiance en elle-même qui est compatible avec la modestie, et une confiance absolue en autrui, n’ayant jamais rencontré que de la bonté. Pourquoi n’opposerait-elle pas son enthousiasme de petite fille qui n’a rien vu et qui brûle de tout connaître aux critiques hautaines d’un voyageur que l’ancien monde a rendu injuste envers le nouveau ? Arbuton dégèle au contact de cette exaltation sincère, il en vient à oublier les origines de Kitty, et qu’elle est née au pays du pétrole. Cela s’effectue peu à peu. Rien d’amusant tout d’abord comme les questions qu’il lui adresse d’un air craintif et dégoûté sur l’humble vie qu’elle