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condition, et lui avait promis de l’épouser lorsqu’il gouvernerait l’état au nom de son royal ami, sous un titre plus éclatant encore que celui de premier ministre. « Devenez connétable, lui écrivait-elle, pour devenir digne de moi. » On assure que ces excitations ne furent pas sans effet sur celui auquel elles s’adressaient, et contribuèrent à lui ôter toute prudence. Il courut à l’abîme, se compromit avec les princes rebelles, entra en relations avec l’Espagne, conspira presque ouvertement la chute du cardinal. « Votre affaire est connue à Paris, lui écrivait encore Marie, comme l’on sait que la Seine passe sous le Pont-Neuf. » Peu de temps après, Paris apprenait le tragique dénoûment de cette aventure, la rigueur impitoyable du cardinal et la cruelle docilité du roi envers son vieux ministre ; la hache du bourreau avait tranché en même temps que la carrière à peine commencée de Cinq-Mars les espérances de Marie de Gonzague. Cette catastrophe atterra la jeune femme ; pour la seconde fois elle sentait l’avenir lui échapper. On la vit se mêler plus fréquemment aux exercices des religieuses de Port-Royal, bien que l’amitié d’Anne d’Autriche, devenue régente par la mort de Louis XIII, l’obligeât à paraître à la cour et à y maintenir son rang ; c’est durant cette période d’amer désenchantement que Mazarin lui révéla les projets qu’il avait formés sur elle ; la perspective d’un sort éclatant vint luire à ses yeux au moment où son existence semblait s’être pour jamais assombrie.

Ce qu’on lui proposait, c’était à la fois la grandeur et l’exil ; c’était surtout l’inconnu. La Pologne apparaissait encore comme un monde à demi fabuleux, mélange étonnant de rudesse et de civilisation, de faste et de barbarie. Les récits que l’on en avait faits à Marie ressemblaient à des contes de fées ; ils parlaient d’une contrée désolée et couverte de frimas, mais renfermant des palais semblables à ces demeures enchantées que protègent d’affreux déserts et dont l’intérieur recèle des merveilles. Là vivaient les seigneurs polonais, magnifiques et puissans comme des rois, gardés par des armées de vassaux et servis à genoux par des populations d’esclaves. Amateurs passionnés de pierreries, de belles armes et de fourrures de prix, ils aimaient à s’entourer à la fois des splendeurs de l’Asie et des raffinemens de l’Europe, mais n’avaient pu renoncer aux goûts belliqueux de leurs ancêtres, toujours prêts à quitter leurs châteaux pour les exploits contre l’ennemi traditionnel ou la faction rivale, pour les courses à bride abattue dans leurs plaines sans fin. Le souvenir de ces descriptions fit-il hésiter Marie ? S’il dut parfois l’épouvanter, il dut aussi piquer sa curiosité et séduire son esprit aventureux. Elle céda à l’attrait de l’imprévu et consentit que sa main fût offerte à Wladislas.