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conçut un mortel chagrin, jura de punir celle qu’il considérait comme l’auteur de sa disgrâce et imagina une vengeance indigne d’un homme d’honneur. Il écrivit au roi de Pologne pour lui dénoncer l’intrigue amoureuse de Marie avec Cinq-Mars. Bien que sa lettre ne soit pas parvenue jusqu’à nous, il est aisé d’en deviner le contenu. Elle reproduisait, en les grossissant, les propos de cour qui avaient rapporté, commenté et défiguré l’aventure ; c’était une accusation formelle, destinée à établir l’indignité de la jeune princesse aux yeux de son époux, et à transformer en une éclatante humiliation sa fortune inespérée.

Marie continuait son voyage sans témoigner ni crainte ni pressentiment. Elle traversait les Pays-Bas au bruit des salves d’artillerie, des fanfares et des acclamations, avide de plaisirs et d’honneurs, s’arrêtant pour recevoir les hommages des villes et des provinces. La galanterie espagnole et la bonhomie flamande s’unissaient alors pour lui faire fête, et il semblait, comme l’écrivait son secrétaire Desnoyers, que jusque-là « sa couronne ne fût que de roses. » Les ennuis et les souffrances commencèrent pour elle dans les plaines glacées de la Frise, et surtout dans l’Allemagne du Nord. Depuis près de trente ans, la guerre faisait rage dans cette contrée, laissant partout des traces lugubres de son passage. Les villes désertes, les champs dévastés, les chaumières trouées de boulets, tout rappelait l’invasion des Suédois, dont les partis battaient encore la campagne. En une étape nos voyageurs trouvèrent sur leur chemin vingt cadavres. A mesure que l’on approchait de la Pologne, les endroits habités se faisaient plus rares, les chemins plus pénibles, et il fallut l’arrivée de l’ambassadeur Brégy, venu à la rencontre de la reine, pour relever le moral de nos Français, et leur rendre l’entrain qu’ils témoignaient au départ.

Doué d’une verve intarissable et d’une imagination prompte à s’enflammer, Brégy parlait avec enthousiasme des réceptions préparées en l’honneur de la reine, célébrait l’impatience des Polonais à connaître et à fêter leur souveraine, vantait le galant empressenent de Wladislas qui s’apprêtait à se rendre à Dantzick avec toute sa noblesse, pour voir plus tôt l’objet de son amour. Chacun entrevoyait déjà le terme de ses peines, lorsque l’événement donna à ces prévisions un cruel démenti. A Stolpen, misérable bourgade de Poméranie, où Marie et la maréchale logeaient dans une auberge ruinée, une lettre du roi de Pologne rejoignit la colonne ; conçue sous une forme impérative, elle ordonnait qu’on fit halte et qu’on n’avançât plus. En même temps, Wladislas écrivait confidentiellement à M. de Brégy : « Je vous en conjure, si vous avez jamais eu dessein de me plaire et de m’obliger, faites en sorte que la reine