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L’Autriche s’était fâchée ; de part et d’autre, on avait porté la main à la garde de son épée, on avait fait des armemens, on avait mobilisé. Peu s’en était fallu que la guerre n’éclatât, mais on avait reculé devant cette grosse partie, les inquiétudes avaient prévalu sur les convoitises. On s’était décidé à battre sa coulpe, à s’humilier sous la verge. M. de Mauteuffel s’était rendu à Olmütz pour y subir humblement les conditions du prince de Schwarzenberg, qui se promettait « d’avilir la Prusse avant de la démolir. » On avait renoncé aux œuvres de Satan, abjuré ses rêves, ses espérances, consenti à défaire ce qu’on avait fait, à restaurer l’ancienne diète et un état de choses qu’on avait déclaré insupportable, et on se présentait à Francfort en pécheur contrit et pénitent, qui comptait sur la générosité de l’Autriche pour tirer le rideau ou passer l’éponge sur ses fredaines et ses folies.

Malheureusement l’Autriche était peu disposée à se montrer généreuse ; elle avait résolu d’exploiter sa victoire morale pour faire à la Prusse une situation subalterne et dépendante. Jusqu’en 1848, par une sorte d’accord tacite, les deux grandes puissances allemandes s’étaient reconnu l’une à l’autre un droit de veto. Aucune question de quelque importance n’était portée devant la diète sans qu’elles se fussent concertées et entendues au préalable. Si l’entente ne pouvait se faire, on ajournait la question ; si elle se faisait, les petits états devaient avaler de bonne grâce la pilule, qu’on ne prenait pas toujours la peine de dorer et qui leur semblait souvent amère. L’Autriche se proposait dorénavant de changer de système et de méthode, elle voulait s’assurer d’abord le concours des petits souverains et des petits cabinets et obliger la Prusse à se soumettre au vote de la majorité. Elle aspirait du même coup à étendre par de sourdes usurpations les prérogatives et les droits du pouvoir présidentiel dont elle était nantie.

Telles étaient les instructions données aux plénipotentiaires autrichiens, le comte de Thun et après lui le baron de Prokesch-Osten, à qui M. de Bismarck eut affaire dans les premières années de son séjour à Francfort. Ils n’avaient pas la même façon de chanter, mais l’air était le même. Dans sa correspondance ; M. de Bismarck nous représente le premier comme un homme de tempérament nerveux, auquel les incidens désagréables faisaient perdre l’équilibre, la santé, le sommeil et causaient de violentes migraines. Le baron de Prokesch n’avait pas de migraines mais il fallait se défier de son éloquence verbeuse et pathétique, de la hardiesse de ses affirmations, de sa fausse bonhomie, de ses bruyans éclats de colère dont la sincérité était douteuse et de ses gracieux retours qui inspiraient peu de confiance, ainsi que de l’habitude qu’il avait d’expliquer par les défaillances de sa mémoire ou par son ignorance des règlemens les empiétemens sournois qu’on lui reprochait. Dans une lettre du 7 mai 1853, M. de Bismarck rendait compte à M. de Manteuffel d’une conversation qu’il avait eue au cours d’une