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variées : radiation immédiate et sommaire des cadres de l’armée, privation des droits politiques, inéligibilité à toute fonction publique. Il y avait manifestement péril. L’urgence a été réclamée, elle a été votée sur l’heure, et une commission s’est mise aussitôt au travail pour décider ce qu’on allait faire des prétendans.

A la vérité, le gouvernement a paru comprendre un instant ce qu’il y avait de dangereux dans ce débordement de violences, dans l’état moral ou mental dont tous ces projets étaient la maladive et inquiétante expression. Le chef du cabinet, qui était encore M. Duclerc, n’a pas caché que la proposition de M. Floquet lui paraissait aussi excessive que blessante pour le gouvernement, que s’il avait, lui vieux républicain, voté contre l’abrogation des lois d’exil, il considérait aujourd’hui comme un acte d’équité, de libérale politique, de respecter une situation créée depuis douze ans. Le ministre de l’intérieur, M. Fallières, a déclaré nettement à la commission devant laquelle il a comparu que tous ces bruits de conspiration dont on étourdissait le public n’étaient qu’une « fantasmagorie, » une mystification dont on connaissait l’origine, qu’il n’y avait rien à craindre. Le ministre de la guerre à son tour s’est expliqué sans détour. Il n’a pas déguisé que l’état de discipline et d’obéissance où vivait l’armée tenait surtout au respect d’une stricte et loyale justice à son égard, qu’on s’exposait à la troubler profondément, qu’on n’expropriait pas ainsi des officiers, fussent-ils des princes, d’un grade qu’ils tenaient de la loi, dont ils avaient la propriété. M. le général Billot s’est fait honneur en se montrant jusqu’au bout résolu à garantir contre les représailles et les entreprises de parti ce qu’il a appelé la charte de l’armée. Il a tenu à rester le défenseur de l’intérêt militaire, de même que le ministre de la marine, M. l’amiral Jauréguiberry, est demeuré invariablement, depuis la première heure, le ferme protecteur des intérêts de l’armée navale placée sous ses ordres. Oui, sans doute, le langage, l’attitude de quelques-uns des membres du cabinet n’ont eu rien que de juste, de rassurant. Malheureusement le ministère n’était peut-être plus dans les meilleures conditions pour faire face à des difficultés croissantes. Il a résisté assez pour montrer ce qu’il y avait à ses propres yeux d’exorbitant dans les mesures d’exception et de persécution qu’on voulait lui imposer ; il n’a résisté ni assez tôt, ni assez énergiquement pour empêcher d’abord la déclaration d’urgence sur la proposition Floquet, pour arrêter ensuite le torrent de passions aveugles qui le pressait. Il a tenté dans cette phase nouvelle ce qu’il avait déjà essayé à l’occasion du manifeste napoléonien. Au 16 janvier, il y a quinze jours, il a pensé se tirer d’affaire par une poursuite qui n’a été, qui n’est encore qu’un embarras ; Cette fois, il a cru détourner l’orage en opposant à la proposition Floquet un projet par lequel il demandait pour le gouvernement le droit discrétionnaire d’expulser éventuellement les princes, de mettre en