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tant que la montre ne sera pas remontée, il ne pourra savoir si elle peut marcher, et comment elle marche. Pour connaître le mouvement d’une montre, il faut voir la montre en mouvement. Il en est de même du physiologiste. Un organe mort ne lui sert de rien. Il faut qu’il voie ce qui est pendant la vie.

Il n’y a donc que deux alternatives : ou bien arrêter la physiologie dans son cours progressif, fermer nos livres, renoncer à étudier la fonction vitale ; ou bien, continuer à pratiquer les recherches expérimentales et les vivisections, comme l’ont fait Galien, Harvey, Haller, Magendie, Claude Bernard. Si l’on pense que la physiologie n’est pas une science, ou si l’on estime que cette science est inutile à l’homme, rien de mieux. Contentons-nous d’observer les étoiles, résignons-nous à ignorer les conditions de notre existence. Mais si l’on tient à approfondir les mystères de la vie, à pénétrer la cause et le mécanisme des forces qui nous régissent, alors il faut continuer nos efforts, sans nous laisser décourager par d’injustes attaques, et la moisson sera abondante ; et chaque jour, au prix de quelques lapins, de quelques grenouilles, de quelques chiens, nous donnera quelque découverte importante.

Donc, même si la physiologie (nous confondons la physiologie et la vivisection, car c’est tout un) ne donne pas de résultats pratiques immédiats pour le soulagement de l’espèce humaine, elle n’en est pas moins bonne, car le résultat immédiat d’une découverte est souvent nul, alors qu’elle entraînera peut-être dans l’avenir d’admirables conséquences.

Mais l’argument favori des ennemis de la vivisection est que la physiologie est inutile à la médecine. Jamais, disent-ils, une vivisection ou une découverte physiologique conquise par l’expérimentation n’ont été de quelque secours à la thérapeutique. C’est le hasard qui nous a fait connaître les propriétés médicatrices du quinquina, du mercure, de l’opium, du chloroforme ; ce n’est pas la physiologie. Les grandes découvertes physiologiques, intéressantes pour notre curiosité, ne le sont pas pour notre bien-être. A quoi mène la connaissance de la circulation du sang ? Quelle amélioration a-t-elle produite dans le traitement des maladies ? Guérit-on mieux les affections de la moelle épinière, parce qu’on sait maintenant ce qu’on ne savait pas il y a un siècle, c’est-à-dire qu’il y a dans la moelle des cordons moteurs et des cordons sensitifs ? Si la mortalité est moins grande aujourd’hui qu’autrefois, c’est par suite des progrès, non de la médecine, mais de l’hygiène générale. Aujourd’hui, comme il y a trois cents ans, les médecins sont impuissans à guérir les maladies, et toutes les améliorations de la médecine moderne sont dues à l’observation attentive des malades, non à l’expérimentation sur les animaux.