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Contre les fauves et les animaux nuisibles ses défenses naturelles sont faibles ; mais il s’est donné des armes qui sont si puissantes que nul animal n’est en sûreté. Le harpon va chercher la baleine au milieu des glaces polaires ; la balle explosible va tuer l’éléphant et le tigre dans leurs jungles. Les fusils, les pièges et les filets de toute sorte suppléent à la lenteur de notre course. En somme, il n’est pas d’animal assez rapide ou assez puissant pour résister à nos ruses ou à notre force.

Peut-être l’intelligence de l’homme n’aurait-elle pas suffi, si une autre puissance n’était venue s’ajouter à celle-là. Cette puissance auxiliaire, c’est l’association. L’intelligence et l’association, voilà vraiment les deux grands moyens de lutte qui ont permis à l’homme d’établir sa puissance. Les documens historiques et préhistoriques nous montrent que l’homme n’a jamais vécu isolément. Il y a toujours eu des sociétés humaines. Isolé, l’individu humain eût sans doute été anéanti par des animaux plus forts, plus agiles, plus féconds, mieux armés pour la lutte ; tandis que, réuni à ses semblables, il a centuplé sa force. Ce sont les sociétés humaines plutôt que l’homme qui ont fait le triomphe de l’humanité dans la nature.

Le développement admirable de la civilisation moderne nous donne le spectacle imposant de notre victoire définitive et complète. Aujourd’hui il y a près de deux milliards d’êtres humains qui couvrent l’étendue de la surface terrestre et qui ont asservi la nature. Ce n’est guère qu’aux régions glacées du pôle que l’homme n’ait pas pénétré. Partout ailleurs il s’est établi en maître et en conquérant. Si l’homme n’a pas détruit les animaux féroces et nuisibles, au moins il les refoule de plus en plus dans les forêts ou les déserts. Le nombre des lions, des tigres, des panthères, va en diminuant chaque jour, et il est permis de supposer que, dans deux ou trois siècles, c’est à peine s’il existera assez de ces fauves pour faire l’ornement des ménageries ou des cirques. Les loups, les chacals, les hyènes, les oiseaux de proie se retirent devant la civilisation. Il en est de même de beaucoup d’autres animaux sauvages, dont le nombre diminue avec une effrayante rapidité. Les buffles, les éléphans, les girafes, les antilopes, les onagres, les autruches, les singes, n’existent plus guère que dans les régions où l’homme civilisé n’a pas encore pénétré. Mais que l’Afrique soit arrachée à la barbarie, tâche magnifique, à laquelle sera vouée, nous l’espérons, la France du xxe siècle, et nous verrons la plupart de ces espèces sauvages diminuer de nombre et disparaître.

Non-seulement l’homme chasse et détruit les animaux nuisibles, mais il a asservi plusieurs espèces vivantes de manière à en faire des instrumens de sa puissance. À mesure que les animaux