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votés en un mois. » Puisqu’un ancien ministre des travaux publics a cru pouvoir accuser franchement l’assemblée nationale d’avoir cédé, en 1875, aux préoccupations électorales, cela nous met à l’aise pour signaler dans les actes des chambres qui ont succédé à l’assemblée nationale la trace des mêmes préoccupations. Si le plan de M. de Freycinet avait été accueilli et acclamé par la majorité parlementaire, c’est qu’il était de nature à satisfaire tous les appétits. Aux engagemens pris s’ajoutaient les promesses, que les députés, destinés à redevenir candidats, comptaient faire miroiter aux yeux de leurs électeurs. Mais il ne suffisait pas d’avoir obtenu le classement des lignes nouvelles ; il fallait, en outre, obtenir au plus tôt la déclaration d’utilité publique, puis le commencement immédiat des travaux. L’honorable M. Carnot pourrait-il affirmer que les considérations électorales et parlementaires sont demeurées étrangères à cette double opération et que certaines influences politiques, certaines pressions individuelles n’ont pas conquis des tours de faveur ? La préférence accordée à telles ou telles lignes se justifie-t-elle uniquement par l’intérêt général ? Les projets, que l’on avait hâte d’exécuter, ont-ils été tous mûrement étudiés de manière à éviter les mécomptes ? Enfin, si l’on a entamé d’un coup cent quarante-quatre lignes, n’est-ce point surtout parce que le ministre des travaux publics, sollicité, harcelé, n’en pouvant mais, s’est vu obligé de donner en quelque sorte un gage à l’intérêt des députés autant qu’à celui des populations ? — Nous assistons à la curée des lignes de chemins de fer. Les habiles n’ont point eu de peine à découvrir que peut-être les ressources financières viendraient à faire défaut, que certaines parties du troisième réseau seraient remaniées, que telle ligne, classée d’intérêt général, serait exposée à descendre dans la catégorie des chemins d’intérêt local, que telle autre, par mesure d’économie, risquerait de n’être établie qu’avec la voie étroite. Et alors, ils ont manœuvré pour que le premier coup de pioche fût donné sans retard, sachant bien qu’en pareille matière tout travail commencé veut être achevé. N’est-ce point là le secret de ces cent quarante-quatre lignes mises en train, de ces 5 ou 6,000 kilomètres entrepris dans toutes les régions ? Il n’y a point lieu de s’en étonner. C’est dans l’ordre des combinaisons parlementaires, lorsque les majorités ne sont point éclairées par un gouvernement qui ait autorité sur elles. Ce que M. Carnot a reproché, avec raison, à l’assemblée nationale qui siégeait en 1875, c’est-à-dire l’asservissement aux préoccupations électorales, il est permis de le reprocher également à la chambre qui a voté si facilement les grands projets de 1878 et de 1879, ainsi qu’à la chambre actuelle. De leur côté, les ministres des travaux publics et des finances ont eu le