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qu’à nourrir des troupeaux. En même temps, les neiges qui couvrent ces sommets chaque hiver imposaient nécessairement aux pasteurs le régime de la transhumance ; leurs bêtes ne pouvaient vivre qu’à la condition d’être conduites pour hiverner dans les parties basses et plus chaudes qui avoisinent la mer. C’est là ce qui poussait, autant que l’appât du pillage, les Samnites à se jeter sur les riches cités de l’Apulie pour en entreprendre la conquête. Ils en voulaient les territoires pour les enlever à la culture des céréales, et y faire librement vaguer leurs troupeaux pendant la saison mauvaise. On peut juger de ce qu’était déjà le développement de la pâture transhumante dans les premiers siècles qui suivirent la conquête romaine par un fait que raconte Tite Live. En 187 avant Jésus-Christ, le préteur L. Postumius dut réprimer une grande conjuration pour une révolte servile qui avait été ourdie parmi les pâtres nomades de l’Apulie, et il en condamna à mort jusqu’à deux mille. Pourtant la république avait pourvu aux intérêts du maintien de l’agriculture dans la contrée autant qu’à ceux de la défense militaire par la fondation de nombreuses colonies de droit latin, auxquelles on avait réparti par voie de lotissement une large portion de l’ager publicus conquis sur les indigènes, à condition de le cultiver. Mais pendant la décadence du gouvernement républicain, et encore plus sous l’empire, il arriva dans cette contrée la même chose que dans le reste de l’Italie. La petite propriété, qui avait fait la force et la base de recrutement des armées romaines, disparut graduellement, absorbée dans les latifundia. Les domaines du fisc s’accrurent de siècle en siècle jusqu’à englober la majeure partie du territoire, et, parallèlement à la marche de la dépopulation, le pâturage vague prit la place de la culture. Le droit perçu par tête sur les bestiaux, qui, l’été dans les montagnes et l’hiver dans la plaine, erraient sous la conduite de pasteurs à demi sauvages sur les terres publiques transformées en pâtures et ne connaissant plus le labour, devint en Apulie la principale source de revenus du fisc impérial.

Les invasions barbares trouvèrent cet état de choses organisé et le conservèrent. Les rois des Ostrogoths se substituèrent aux propriétés et aux droits du fisc, et sur les terres même qu’ils distribuaient à leurs compagnons d’armes, ils maintinrent à la pâture le caractère d’un droit régalien donnant lieu à la perception de l’impôt par les agens financiers du souverain. Ainsi firent également les Lombards qui distinguèrent les redevances des troupeaux en herbaticum, escaticum et glaudaticum suivant qu’ils paissaient sur les prairies permanentes, sur les terres en friche ou dans les bois. Les Normands et après eux les princes de la maison de Souabe en continuèrent la perception en les réunissant sous le nom commun de