Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en brique et en pierre et reliées entre elles par d’épaisses courtines de la même construction, couronnent ainsi les pentes abruptes du nord, de l’ouest et du sud, avec deux tours plus grosses et plus hautes, en forme de polygones irréguliers, aux deux angles nord-ouest et sud-ouest, présentant un angle sur l’arête de la colline. Le côté de l’est, rectiligne, armé de sept tours en figures de bastions, faisant saillir en avant un angle obtus, se termine à ses deux extrémités par deux grosses tours rondes. C’est sur cette face, entre la seconde et la troisième tour à droite, qu’a été ménagée, dans un angle rentrant fort habilement disposé, l’entrée principale de la forteresse, entrée oblique et précédée d’un pont-levis. Un peu en arrière et commandant le débouché de cette porte, auprès de l’angle nord-est de l’enceinte et s’appuyant à la muraille de la face nord, dans laquelle était tout à côté une poterne, se dressait le donjon, énorme massif de forme exactement carrée. C’est là qu’était la demeure royale que Frédéric II avait fait décorer avec un grand luxe et où, en 1241, tandis qu’il ravageait les environs de Rome, il envoyait deux statues de bronze antiques enlevées au monastère de Grotta Ferrata. C’est là aussi que demeurait le châtelain ou émir des Arabes. Ce donjon, dont l’abbé de Saint-Non admirait le magnifique appareil, subsista en grande partie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, mais il fut alors démoli pour construire avec ses matériaux un palais pour les tribunaux dans Lucera. Ce n’est plus qu’un amas de ruines confuses, où l’on distingue seulement l’amorce des nervures qui couvraient quelques salles. Des voûtes effondrées dans sa partie inférieure permettent de reconnaître qu’il avait été élevé en portion sur des fondemens antiques. On aperçoit au-dessous les restes de souterrains romains construits en grand appareil d’une belle époque, parfaitement caractérisé.

M. Amari a émis la conjecture que le château des Sarrasins de Lucera avait dû être édifié sous la direction d’ingénieurs arabes. Je crois cette opinion parfaitement juste. La forme des tours carrées et barlongues, leur faible saillie, leur rapprochement, la disposition en talus de la base des murailles sont autant de particularités caractéristiques des principes de fortification qui, des Byzantins, avaient passé aux Arabes, que les templiers avaient adoptés dans la construction de leurs châteaux de terre-sainte, mais qui, en 1223, ne s’étaient guère encore naturalisés en Occident. La disposition du terrain avait dispensé les ingénieurs qui fortifièrent Lucera d’établir ailleurs que sur le front est, devant le rempart, le vaste fossé et la muraille extérieure en avant de ce fossé, qui étaient aussi choses essentielles du système byzantino-arabe. Du reste, ce front, tel que nous le voyons dans son état actuel, avec ses tours d’une autre forme que celles du reste de l’enceinte, a été refait en