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de l’Europe, nettoyé l’Acropole des débris modernes qui l’encombraient et rendu aux temples antiques, qu’il eût été sacrilège de restaurer, la majesté de l’isolement. Sans doute, c’est en partie à des étrangers que doit être attribuée l’initiative de ce que la Grèce a fait pour ses monumens : comment oublier les noms de Thiersch, de Ross, de Beulé, sans parler des explorateurs récens qui, à Mycènes, à Olympie et à Délos ont exhumé à leurs frais, ou aux frais de l’Allemagne et de la France, des œuvres admirables dont la Grèce s’est enrichie? Mais la Grèce elle-même peut nommer avec orgueil Pittakis, Rangabé, Koumanoudis, Eustratiadis, et tous les membres de cette vaillante Société archéologique qui, fondée en 1837, a rendu des services inappréciables, alors que le gouvernement était trop pauvre pour se substituer à elle[1]. Avant de dénoncer avec une sévérité que nous croyons juste les dévastations dont la Grèce est le théâtre, nous nous plaisons à reconnaître qu’elle a fait beaucoup depuis cinquante ans et que le bon vouloir ne lui a jamais fait défaut. Nous désirons qu’on ne voie dans nos reproches qu’une preuve de l’intérêt sincère que nous lui portons. Il y a quelques années, M. Waddington, alors ministre de l’instruction publique, avait dit avec beaucoup de raison que la Grèce, incapable souvent de faire des fouilles chez elle, repoussait le concours des étrangers qui voulaient lui venir en aide. M. Koumanoudis, secrétaire de la Société archéologique, répondit avec amertume dans l’Athénaion et rappela au ministre français l’ancien adage : Parvum parva décent. Nous n’oublions pas, non plus que le faisait M. Waddington, que la Grèce est petite et qu’elle n’est pas riche; nous ne lui demandons pas l’impossible, nous lui reprochons seulement d’être intolérante à l’égard des uns, trop tolérante à l’égard des autres, de maintenir une législation qui provoque au vandalisme et de repousser souvent les offres désintéressées de services dont la science, et le pays même, pourraient recueillir de si beaux fruits.

Une des premières lois que le gouvernement de la Grèce libre ait rendues[2] interdisait d’une manière absolue, sous peine de confiscation, l’exportation des antiquités. La Grèce se sentait trop pauvre pour s’opposer d’une autre manière à l’émigration de ses chefs-d’œuvre en Europe. Le Parthénon mutilé dénonçait les rapines de lord Elgin; les frontons du temple d’Égine, la frise du temple de Phigalie avaient été enlevés dans les premières années

  1. Au moyen de donations et des revenus d’une loterie annuelle, la Société archéologique achète des œuvres d’art et fait quelquefois exécuter des fouilles. L’histoire des travaux de cette société, de 1837-1880, a été racontée récemment par M. Castorchis (Athènes, 1880); M. G. Perrot a rendu compte de ce livre dans la Revue archéologique du mois de février 1880.
  2. Loi de mai 1834, dans les Codes grecs de Balli, édit. de 1875, t. II, p. 451.