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du siècle ; enfin le chef-d’œuvre de l’art grec, la Vénus de Milo, était arrivé au musée du Louvre au commencement de la guerre de l’indépendance. Il semblait nécessaire, à exemple des états pontificaux, de protéger contre les convoitises de l’Europe les œuvres que le sol de la Grèce recelait encore. Cette loi de prohibition absolue a trouvé des défenseurs même parmi les savans de l’Europe. « Un pays, dit Beulé[1], a toujours le temps de faire reparaître au jour les antiquités qui dorment sous la terre. Elles peuvent attendre quelques siècles encore : on les ignore, mais on les possède. L’impatience d’un savant, le caprice d’un étranger, peuvent hâter leur exhumation, sans constituer un droit nouveau de propriété. » Le raisonnement de Beulé est assez juste ; il s’agit seulement de ne pas décourager l’ardeur de la science qui offre son concours désintéressé au pays. La loi grecque de 1834 défend l’exportation des antiquités d’une manière absolue, leur transfert d’un point à l’autre du pays sans la permission expresse de l’autorité ; elle interdit toute recherche archéologique, à moins d’une autorisation spéciale du gouvernement, qui fait surveiller le chercheur par un commissaire; elle prescrit à tout possesseur d’antiquités sur le sol grec d’en faire la déclaration détaillée, pour que l’on puisse contrôler au besoin l’intégrité de sa collection[2]. Si le propriétaire d’un terrain découvre une œuvre d’art, il doit donner avis de sa découverte dans les trois jours, car la moitié de sa trouvaille appartient de droit au gouvernement. S’il ne veut pas accepter les offres d’achat que lui font le ministère ou la Société archéologique et qu’il vende sa trouvaille à un tiers, il devra payer à la caisse des musées un droit de cinquante pour cent sur le prix de vente. L’œuvre est confisquée sans indemnité si l’on découvre que le propriétaire a fait secrètement des démarches pour s’en dessaisir ou l’exporter. Si le délit d’exportation est accompli, le coupable est passible d’amende et d’emprisonnement.

Voilà une législation bien draconienne, et, comme toutes les législations de ce genre, condamnée d’avance à rester en partie lettre morte. Ce n’est pas sans raison qu’on l’a appelée récemment « l’absurde loi qui régit et prétend prohiber le commerce des antiquités dans le royaume hellénique[3]. » Nous allons montrer comment

  1. Journal de mes fouilles sur l’Acropole, 23 février 1852. (Gazette des beaux-arts, 1872, p. 278.)
  2. Ce droit de visite est établi par l’article 72 de la loi, mais il est à peu près tombé en désuétude.
  3. M. François Lenormant, dans la Gazette archéologique de 1878, p. 201 ; voyez ce que dit M. Rayet dans le même recueil 1880, p. 102 et dans la Gazette des beaux-arts, 1875, t. II, p. 552. M. Castorchis lui-même, plaidant la cause de la loi de 1834 (Athénaion, 1881. p. 373), reconnaît les abus de tout genre auxquels elle a donné lieu. Ludwig Ross, conservateur-général des antiquités sous le roi Othon, les signalait avec tristesse sans pourtant y proposer de remède. Voy. A. Bötticher, Olympia, 1883, p. 71.