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Voie sacrée. Un pied fut découvert en même temps, et les fouilleurs espéraient voir apparaître le reste de la statue lorsque la police grecque fut informée et la recherche brusquement interrompue. Le pied, dit-on, a été saisi et transporté au ministère des cultes; la tête, découverte un peu auparavant et mise en lieu sûr, a passé d’Athènes à Paris et de Paris à Copenhague. Personne ne connaît exactement l’emplacement de la découverte : les fouilleurs ont tout intérêt à ne pas le révéler, sous peine de se dénoncer eux-mêmes, et ne trouveraient d’ailleurs aucun profit à continuer secrètement les fouilles, parce qu’un torse sans tête est d’un transport difficile et d’une vente presque impossible. Ainsi, voilà un monument de premier ordre que le moyen âge et les temps modernes avaient épargné et qui ne reparaît au jour de notre temps que pour devenir la victime d’une loi absurde, dictée par des intentions bien louables assurément, mais dont les effets sont plus destructeurs que ceux des invasions et des incendies. Ceux qui voudront se convaincre que cet exemple n’est pas isolé n’ont qu’à entrer dans une boutique d’antiquaire : ils y verront vingt têtes pour un torse, alors que les fabricans de chaux ont détruit de préférence les têtes, qui se détachaient plus aisément. Mais les têtes, faciles à dissimuler et à vendre, ont été sciées ou seules recueillies : les torses sont restés ensevelis ou l’ont été de nouveau par les fouilleurs.


II.

Je voudrais m’arrêter ici et pouvoir reconnaître que, si le commerce des antiquités en Grèce est coupable de vandalisme, le gouvernement, du moins, fait tout ce qu’il doit pour que les œuvres qu’il possède restent à l’abri des mutilations et des injures. Cela n’est pas, et il faut avoir le courage de l’écrire, car beaucoup de Grecs éclairés ignorent l’état de choses que nous signalons. Le malheur de la Grèce moderne, bien plus sensible aujourd’hui que dans la Grèce antique, c’est l’absence de centralisation, la jalousie des petites villes à l’égard d’Athènes, l’extrême exaltation des rivalités locales. Le premier musée fondé en Grèce a été celui d’Égine. Lorsqu’Athènes redevint capitale, on y rassembla, sous la direction de Ross, un nombre considérable d’œuvres d’art. Le temple de Thésée servit longtemps de musée principal : aujourd’hui, Athènes ne possède pas moins de dix musées[1] qui, réunis, formeraient une collection admirable et seraient au moins d’une surveillance

  1. Voyez Milchöfer, die Museen Athens, 1881, et L. von Sybel, Katalog der Sculpluren zu Athen, 1881. MM. Girard et Martha, de l’École française d’Athènes, ont inventorié les terres cuites et les vases appartenant à la Société archéologique.