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Nous touchons ici au vif de la question; quand le mal a été décrit sans réticences, le remède n’est pas difficile à indiquer. Il est du devoir de chaque peuple de recueillir pieusement les monumens de son passé, de préserver de la dévastation et de la ruine les témoignages de son art et de sa grandeur historique. Lorsqu’un pays comme la Turquie est composé de races différentes soumises à l’hégémonie d’une seule, le gouvernement doit laisser à chacune d’elles le soin de veiller sur son histoire, et s’occuper exclusivement du passé de la race qu’il représente. De même que les Grecs, les Arméniens, les Bulgares entretiennent leurs églises et leurs écoles, ils peuvent aussi, s’ils en ont envie, former des musées d’antiquités. En édictant des peines sévères, par les lois de 1869 et de 1874, contre les destructeurs de monumens grecs et romains, même de ceux qui ne représentent pas une valeur vénale, le gouvernement turc a fait plus que son devoir ; il a rendu hommage à la civilisation européenne en essayant ainsi de préserver les souvenirs qui sont si chers aux peuples de l’Occident. S’il n’a pas réussi, il faut du moins lui savoir gré de l’idée généreuse qui l’a inspiré. Mais l’interdiction de tout acte de vandalisme est le seul genre de protection que l’on puisse demander au gouvernement turc. C’est là une simple mesure de police et d’ordre. Quant aux antiquités grecques ou romaines qui sont entre ses mains, ou qui couvrent le sol dont il est possesseur, il a le droit de les considérer à peu près comme nous considérons en France les matériaux de démolition. Ce sont des valeurs dont il lui est permis de tirer parti, qu’il peut convertir en espèces sonnantes. Si l’état mettait aux enchères, tous les deux ou trois ans, tous les objets antiques qui entrent dans son domaine, on verrait à Constantinople une succession de ventes brillantes, où tous les musées d’Europe se feraient représenter, et dont le produit servirait à réparer les mosquées en ruines, à racheter au besoin en Europe les armes de prix, les faïences de Koutaïeh et de Brousse, tant d’autres souvenirs de l’ancien art turc qui ont passé les mers depuis longtemps. Le musée de Tchinly-Kiosk, cette œuvre de Mahomet II dont la destination actuelle scandaliserait le conquérant, deviendrait un musée d’art ottoman sans égal au monde. Il ne serait même pas nécessaire pour cela de faire beaucoup d’achats à l’extérieur : il suffirait de centraliser les trésors épars dans les garde-meubles, les anciens palais, les mosquées. La Turquie cesserait d’être ingrate envers ses artistes et la coupole de Yéni-Djami ne menacerait pas de s’effondrer un jour sur la tête des fidèles qui ont payé les frais d’un musée d’antiques.

Les règlemens concernant les fouilles et découvertes seraient faciles à rédiger dans le même esprit. Le commerce des œuvres