Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nudité misérable forme un contraste frappant avec l’extrême piété du Tyrol septentrional. Ici les portes, grandes ouvertes pour permettre à un rayon de soleil poudroyant de pénétrer dans l’obscurité intérieure, ne laissent entrevoir qu’une trompeuse décoration de carton et de clinquant. Les fidèles sont rares aujourd’hui. Du temps de feu le comte de Pavis, il en était autrement. La comtesse et ses filles occupaient avec une régularité exemplaire le banc où sont encore inscrits sur des plaques d’airain les noms de chacune d’elles, mais la mort a pris les unes, les autres sont mariées et dispersées par conséquent. Seul, Saverio de Pavis pourrait venir occuper la place qui lui est réservée, mais le propriétaire actuel du palais néglige un peu les pratiques religieuses dont sa digne mère donnait l’exemple.

Un jour, je pénétrai dans l’église ; deux jeunes filles y étaient seules à genoux. L’unique rayon de lumière éclairait leurs jolies têtes inclinées. Bientôt elles sortirent, longèrent le grand mur blanc, sur lequel se poursuivent les lézards, et allèrent rejoindre leur âne, qu’elles avaient attaché à la porte du chaudronnier. Celui-ci, que je connaissais bien, était un brave homme, apparemment épris de son métier. Par-dessus la casserole qu’il achevait de fabriquer, ses bons yeux se fixèrent sur les deux jeunes filles, sur leur âne et sur moi-même, qu’il salua d’un hochement de tête amical. Il n’était pas à plaindre dans son échoppe, avec cette belle vue du palazzo Pavis et de la montagne devant lui. Les sommets se pressent autour de la petite ville, ceux-ci taillés en pics aigus, ceux-là comme écrasés d’une façon étrange, dessinant des lignes changeantes, grâce au passage rapide de la lumière et de l’ombre. Tantôt une crevasse apparaît, tantôt une aiguille se détache étincelante ; un voile d’ombre se déroule de quelque cime, puis s’évapore pour découvrir des horizons nouveaux sculptés dans la dolomie aux reflets nacrés sous le soleil. C’est le royaume des fées… J’y errais depuis une dizaine de jours avec un ravissement toujours nouveau, émerveillée par ces défilés rocheux où bruissent les cascades, par ces vallées verdoyantes où paissent les vaches grises, par cette flore si variée que favorise le voisinage des eaux cristallines faisant irruption à travers le feuillage et la mousse. Lorsque vous traversez les hameaux paisibles accrochés au flanc de la montagne, des yeux noirs vous suivent avec non moins de bienveillance que de curiosité. L’étranger n’est pas encore pour cette honnête population une proie que l’on ne se fait aucun scrupule d’écorcher ; l’hospitalité qu’on lui accorde n’a rien de vénal. Des draps blancs filés durant les veillées d’hiver recouvrent la paille fraîche qui forme les lits ; les chasseurs de chamois et les pêcheurs de truites approvisionnent le garde-manger. La vallée produit en