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IV.

Chose singulière ! une amie nous attendait quelque part, dans ce village. Ma sœur avait rencontré plusieurs années auparavant signera Elizabetta della Santa à certaines eaux où l’avait envoyée un docteur allemand. Ce n’était que la dame de compagnie d’une autre vieille personne à qui appartenait la maison de campagne que, toutes deux réunies, elles habitaient l’été. Nous avions promis d’aller la voir ; elle assurait que le jardin était digne de notre visite. Mais où se trouvait-il ? J’allai m’informer auprès de la padrona. En descendant l’escalier, Fortunata et Joanna m’apparurent sur la terrasse causant avec le comte. Il tirait de sa boîte des fougères, des racines, toute sorte de plantes, et je n’osai troubler l’entretien. Tonina, la fille aînée, courait d’une table à l’autre dans la salle commune, un sac de cuir au côté. Je me dirigeai vers la cuisine pour y chercher la mère. Elle était là, en effet, avec son fils, dont l’honnête visage me parut empourpré par une émotion quelconque.

— Que demande la signora ? dit notre hôtesse avec une étrange vivacité. Oh ! c’est tout près d’ici… La signora della Santa et la marquise sont nos voisines. Mario ira… non, Fortunata plutôt va vous conduire. À droite en arrivant au pont…

Mais tout à coup un sanglot l’étrangla, et elle fondit en larmes.

— Pardon, reprit la brave femme, redoublant de volubilité, ne faites pas attention,.. surtout ne dites pas à ma fille… qu’elle ne sache jamais…

Mario, qui sifflait entre ses dents, l’interrompit d’un air d’impatience.

— Enfin il est ici, dit-elle en s’essuyant les yeux ; il veillera sur nous maintenant… Tout ira bien.

Elle appuya une main sur le bras de son fils en levant vers lui un regard tendre et inquiet. Je les laissai. On riait aux éclats dans la salle commune. Le comte, sur la petite terrasse, semblait maintenant contempler les étoiles, qu’il nommait à Fortunata comme pour lui faire un cours d’astronomie. À l’étage supérieur, je trouvai Tom fumant sa pipe et ma sœur, à qui je racontai la petite scène dont j’avais été témoin.

— Quelque embarras d’argent sans doute, me dit-elle.

Mais tout indiquait, au contraire, la prospérité dans cette maison ; les pièces de toile neuve étaient rapportées quotidiennement du pré où elles avaient blanchi, des voitures à bœufs rentraient