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de toute sa hauteur. Joanna jeta sur sa chère petite maîtresse un coup d’œil furtif. Je commençais à comprendre.

En descendant pour aller rejoindre ma sœur qui devait m’attendre dehors, j’aperçus les trois blanchisseuses penchées à leur fenêtre d’un air méchant qui me fit frémir.

J’avais laissé Hélène occupée à dessiner toute seule dans la rue ; je la retrouvai au milieu d’une véritable foule. Les habitans de ces villages s’attroupent autour des étrangers comme font les petits veaux sur la montagne ; ils ouvrent de grands yeux ébahis et les questions vont leur train :

— Mariée ? Où est le mari ? Combien de garçons avez-vous ? Combien de filles ? Notre pays vous plaît ?.. Êtes-vous Allemands ou Italiens ?

— Anglais ?

— C’est loin l’Angleterre ?

— Il faut passer la mer ?

Là-dessus quelqu’un siffle et tous de chuchoter entre eux : — Ils Ne sont pas chrétiens… Non : — Mais si… regardez leurs doigts… ils ont l’alliance. Puis un bon sourire et le souhait accoutumé : « Heureux voyage ! » en s’éloignant.

Une matrone chauve, coiffée de fausses nattes, était plus bavarde que les autres :

— Moi, disait-elle en montrant un groupe d’enfans, jolis comme tous ceux de ces parages, j’ai cinq petites filles. Ainsi vous demeurez à l’hôtel ? Et le frère est revenu ? Tant mieux ! Un homme dans la famille, c’est nécessaire ; les femmes seules ne font que des sottises. Sans doute Mme Sarti et ses filles étaient d’excellentes personnes, mais elles avaient des ennemies, beaucoup d’ennemies et qui racontaient de vilaines choses. Ils racontaient que Fortunata était fière, qu’elle regardait trop au-dessus d’elle ; ils étaient jaloux enfin. — Et elle, pauvre petite, elle n’entend malice à rien du tout. Allons, venez, marmaille. — La dame aux fausses nattes poussa devant elle sa tribu, nous laissant perplexes, Hélène et moi. Nous avions enfin la clé des inquiétudes de cette mère.

— Quelle indignité 1 m’écriai-je ; soupçonner une enfant si charmante et si pure !

— la padrona fera bien de surveiller les apparences, répondit gravement ma sœur.

Ce jour-là, ainsi que nous en étions convenues, nous allâmes voir notre vieille amie, la signora della Santa. Nous la trouvâmes toujours la même, maigre comme un clou, ridée sous ses cheveux gris, et vêtue d’anciennes étoffes foncées jaunâtres et vertes, qui lui donnaient l’apparence d’une vieille giroflée de muraille. Le jardin était,