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Nous assistâmes à des scènes touchantes.

— Ma petite Nata ! soupirait la mère en couvrant sa fille de caresses. Ma pauvre enfant !

— Si j’étais à sa place, criait Joanna, en se plantant d’un coup de poing son chapeau sur l’oreille, croyez-vous que je partirais ? Non, pas pour un empire ! Ah ! vous auriez beau m’offrir de l’or à poignées. Ne lutte pas contre ton amour, Nata, ma chérie, ou tu en mourras ! Comment Mario, qui n’a pas plus de sentiment qu’un bœuf, comprendrait-il ?

— Te tairas-tu, fille de rien ? interrompait Tonina indignée.

— Je comprends tout, criait Mario ; qui donc dit que je ne comprends pas ? qui donc m’accuse ? Je fais ce qui est honnête, je fais prévaloir la volonté de ma mère. Dites, ma mère, n’est-ce pas votre volonté ?.. Répondez,.. défendez-moi, poursuivit-il, son visage en feu tourné vers la pauvre padrona, qui, ne sachant auquel entendre, se mit à pleurer.

Nata essuya ses larmes en l’embrassant :

— Ne croyez pas la Joanna. Je ne mourrai pas comme elle le dit, maman. Je souffre un peu, mais j’en viendrai à bout. Mario a raison : mieux vaut que je parte ; comment croirais-je le comte quand il prétend qu’il me préfère à toutes les autres ? Il ne sait pas faire respecter celle qu’il aime. Oui, je partirai si cela doit arrêter les mauvaises langues.

La pauvrette sortit en courant de la cuisine et alla s’asseoir au bout du corridor sur une petite chaise, le visage caché entre ses mains ; elle resta ainsi jusqu’à ce que le pas de sa mère sur l’escalier l’eut arrachée à cette morne rêverie ; alors elle tira son ouvrage de sa poche et se mit à coudre en fredonnant.

Après dîner, nous l’emmenâmes, ma sœur et moi, faire un tour afin de la distraire et aussi parce qu’il nous semblait bon qu’elle se montrât en public avec des gens considérés. Le long de la rue, les enfans étaient assis, sur le pas de chaque porte, à manger leur polenta ; nous entrevoyions de petits intérieurs sombres, éclairés par la flamme du foyer. De vieilles fileuses nous saluaient au passage, l’air était rempli d’un bruit de clochettes, qui se rapprochait à mesure que rentraient les troupeaux, et d’un bourdonnement de voix qui accompagnait le repas du soir. Un colporteur exhibait ses trésors de clinquant devant les paysannes éblouies. Lentement nous marchâmes jusqu’à un petit pont jeté sur la rivière, et, assises au bord de l’eau, nous assistâmes au défilé des vaches et des chèvres qui regagnaient l’étable, à celui des femmes qui rentraient ployées sous un fardeau de chanvre et des jeunes garçons qui chantaient en chœur bras dessus, bras dessous. Bientôt, un autre groupe passa d’un pas plus