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Joanna, au contraire, m’avait paru tout le temps fort excitée, causant avec les paysans qu’elle rencontrait le long du chemin, sans se laisser jamais pour cela mettre en retard, marchant d’un pas allègre et ferme, n’oubliant jamais de se signer à la vue d’une croix, intrépide, et curieuse, et de bonne humeur jusqu’au bout. Un pareil entrain nous émerveillait. Après avoir aidé sa jeune maîtresse à se mettre au lit, elle vint nous rejoindre dans la salle à manger où nous soupions et entama la conversation avec un vieux prêtre, tout en aidant à le servir : « Le beau monde ne devait pas fréquenter souvent cet endroit perdu ; l’hôtel n’était pas comparable à l’Aigle noir de la padrona Sarti ; un mobilier bien ordinaire. »

— Mais la forêt est si agréable pendant l’été ! dit le prêtre, qui répondait à ses questions avec bonté, l’ayant vue se joindre dévotement au Benedicite qu’il venait de prononcer tout haut.

— L’été, à la bonne heure ! reprit Joanna. Tout est bien vert, en effet. Le bétail ne doit pas manquer d’herbe, et les fleurs, on les cueille par charretées, n’est-ce pas ?

Son interlocuteur, en savourant un excellent poisson, reconnut que c’était vraiment la terre promise pour les collectionneurs de plantes. Ils y venaient des différentes parties de l’Europe.

— Je possède moi-même, ajouta-t-il, un herbier remarquable et, sur le Schlern, j’ai trouvé des échantillons très rares.

Nous laissâmes Joanna en conciliabule avec son nouvel ami. Je ne sais combien de temps dura l’interrogatoire auquel l’excellent homme se prêtait de bonne grâce, un peu étonné, je suppose, de trouver un goût si vif pour la botanique chez une servante d’auberge.


XI.

Le lendemain Fortunata vint m’éveiller :

— Joanna est-elle avec vous ? demanda-t-elle derrière la porte. Je répondis que je ne l’avais pas vue. Un peu plus tard, dans la matinée, elle me dit encore, cette fois avec inquiétude :

— Je ne puis m’imaginer vraiment où est allée Joanna. Elle n’était plus au lit quand je me suis levée, on ne l’a pas vue à la messe, elle n’a pas déjeuné, je ne la trouve nulle part. Ma cousine Hofer croit qu’elle aura profité du beau temps pour monter toute seule jusqu’au vieux château.

— Eh bien ! dit Hélène, nous ferons de ce côté notre première promenade, et nous la rencontrerons sans doute. Demandez d’abord qu’on nous donne du fait et des œufs.

Le géant Peter entra sur ces entrefaites, et je lui demandai s’il avait vu Joanna.